Lorsque nous jouons à un JdR, nous choisissons ou construisons des personnages, les fameux PJ. Force est de constater qu’un même joueur jouera souvent le même type de PJ. J’ai déjà eu l’occasion, dans mes précédents articles sur ce blog, d’exprimer l’intérêt que j’avais pour la question. Mais au-delà de la simple observation des faits, j’aimerais me pencher sur ce sujet et proposer quelques pistes de réflexion.
Qu’est-ce qui fait que… ?
Il semblerait que les moteurs diffèrent selon les joueurs et le type de jeu. Je compte trois moteurs, trois ressorts du choix ou de la création de PJ, mais il en existe peut-être d’autres.
– L’identification au Personnage lui-même :
Le joueur choisit ou construit le Personnage en regard de qu’il perçoit de lui-même, que ce soit par similitude ou opposition. On y trouve entre autres le joueur cérébral qui joue systématiquement l’Erudit, le Magicien, ou à contrario le joueur frêle et effacé qui incarne le Barbare, le Guerrier, …
– L’appétence à la mécanique du Personnage :
Le joueur choisit le Personnage parce que ce personnage peut accomplir telle ou telle action, ou le crée pour qu’il puisse les accomplir. Ce type de joueur va souvent choisir ou composer un personnage très spécialisé et parfois peu commun : l’Ingénieur, l’Artificier, l’Herboriste, …
– L’ambition méta-jeu :
Le joueur, dans le choix ou la construction du Personnage, cherche à optimiser ses chances de réussite. Le Personnage n’est alors qu’un moyen pour le joueur de parvenir à ses fins qui peuvent être par exemple, amasser beaucoup de richesses, péxer un maximum, découvrir les secrets du Lore, devenir très influent, avoir toujours plus de pouvoir, anéantir tous les ennemis, … Ce sont des joueurs qui optimisent leur PJ. On retrouve là aussi les joueurs qui construisent ou choisissent leurs PJ de façon à équilibrer avec les autres pour optimiser non plus seulement leur PJ, mais l’équipe.
Pas si simple !
Bien entendu, les frontières ne sont pas parfaitement hermétiques entre ces trois ressorts du choix/création et, le plus souvent, on peut trouver chez un joueur un mélange plus ou moins équilibré des trois.
Pour illustrer ce propos, je vais parler du joueur dont je connais le mieux les ressorts internes : Moi.
Pour autant que je me souvienne mon premier PJ fût un journaliste d’investigation pour CoC 5ème ed.
Les personnages que j’incarne sont la plupart du temps taiseux voir secrets, solitaires, observateur, avides de connaissance, curieux. J’ai donc un attrait plus particulier pour les jeux et scénarii orientés « enquête ». Je favorise les caractéristiques liées à la réflexion et l’intellect. C’est là un choix par identification, tant par similitude que par opposition : ces personnage sont un peu ce que je suis et beaucoup ce que je voudrais être.
Je mise beaucoup sur une bonne endurance ou constitution, parce que quand on est pas trop fort, voir pas du tout, il est parfois difficile de survivre, alors autant mettre toutes les chances de mon côté. Là, je penche plus coté méta-jeu.
Dans des jeux ou scénarii plus orientés sur l’action, je choisi souvent d’incarner les personnages qui ont un lien fort avec la religion et la foi, qui se sacrifieraient pour leurs convictions, parce que tant qu’à risquer sa peau, autant se jeter dans la bataille avec panache et en y mettant du sens. Encore une fois, il y a là un peu ce que je suis et beaucoup ce que je voudrais être. Sauf qu’il y a là en plus un choix lié aux mécaniques : concrètement pour être héroïque dans une bataille, il faut être en capacité de se battre. Alors non, je ne vais pas choisir le gros bourrin de base, mais plutôt le combattant agile et vif.
Quoi que… il m’arrive de choisir le bon gros barbare orc sans cervelle, mais ça, c’est uniquement quand j’ai envie de me lâcher complètement pour du one-shot récréatif.
Le regard d’un spécialiste
Michael Stora, psychologue, utilise le jeu vidéo « LES SIMS » dans sa pratique.
Voilà quelques idées qu’il avance concernant le choix et la création de l’avatar. Ce texte est issu d’une interview de Michael Stora menée par Ludovic Nachury pour 01net.com : « Le plus souvent, il s’agit d’une vision idéalisée de soi-même. Il n’y a pas d’analyse simple d’un joueur à partir de son personnage. Non, mais beaucoup d’informations à recueillir. »
L’intégralité de l’article est consultable ici : Michael Stora (psychologue) : ‘ J’utilise les Sims dans le cadre de mes thérapies ‘
Le non-choix, un choix qui en dit long
J’ajoute à tout ce qui précède que si je ne choisis jamais ou presque d’incarner tel ou tel type de Personnage, c’est que là aussi, il y a un lien, sauf que c’est un lien négatif qui conduit non à l’attrait pour un Personnage, ses mécaniques, son potentiel méta-jeu, mais au rejet de ce tout ou partie de cela.
Il y a donc les Personnages qu’un joueur incarnera toujours, ou presque, ou au moins régulièrement, et les Personnages qu’un joueur n’incarnera jamais, ou presque, ou tout au moins le moins souvent possible.
Dans les deux cas, les ressorts sont peu ou prou les mêmes.
Le LIEN en JdR et la quête identitaire en relation à autrui.
La construction identitaire passe nécessairement par la relation à l’autre. Cet autre peut-être, et c’est le plus souvent le cas, un pair. Il peut-être un imago parental, paternel ou maternel, un modèle identificatoire, professeur, éducatrice, idole, … Depuis peu, je m’intéresse particulièrement au jeux avec LIENS entre PJ et/ou PNJ, parce que, il me semble, ces LIENS en disent long également sur le joueur, non plus seulement dans ce qu’il est lui-même, mais dans ce qu’il est en relation à l’autre.
Par exemple, les jeunes que je fais jouer, comme beaucoup à l’adolescence, sont en pleine quête identitaire, et cela implique aussi l’identité sexuée.
Il y a moins d’un mois, au cours d’une Séance zéro pour Tales from the Loop, lors de la création des liens entre PJ, un joueur choisit le lien « j’aime… [autre PJ] ». Quand vient le moment de choisir quel autre PJ inscrire en place des pointillés, un blanc, un moment de gêne, des sourires et rictus embarrassés : tous les joueurs autour de la table sont des garçons, et tous leurs PJs également.
J’ai donc jugé bon de rappeler que cela n’est qu’un jeu, mais aussi et plus sérieusement encore que même si cela dépassait le cadre du jeu, c’est naturel et certainement pas honteux.
Ce petit événement a donc été un support intéressant pour travailler avec ces jeunes cette question existentielle à leur âge de l’identité sexuée : Qui suis-je ? Mon corps, mes attirances, mes sentiments, sont-ils en adéquation avec les schémas normatifs habituels que me donne à voir la société ? Et si je me sens différent, si je ne me reconnais pas dans ces schémas pré-établis, est-ce grâve ? Est-ce normal ? Dois-je le cacher ?
Et vous ? Qui jouez-vous ?
Prenez un moment et tâchez d’observer les différents PJ que vous incarnez selon le type de jeu. Y retrouvez-vous des similitudes, des oppositions ? Quel ressort vous correspond le plus dans la création ou le choix de votre Personnage ? Avez-vous identifié un autre de ces ressorts ?
Et interrogez-vous : En quoi le JdR vous a-t-il aidé à construire votre identité ? Qu’est-ce que vos PJ disent de vous ?
Faites-nous partager vos réflexions, réactions, remarques, critiques, …
Merci
Belles réflexions ! Je travaille justement sur une plateforme de comparaison de PJ avec pour objectifs, parmi tant d’autres, de permettre aux rôlistes de visualiser leurs marottes (inconscientes ou non).
La grosse majorité de mes camarades de jeu essaient volontairement de diversifier leurs personnages, au détriment des considérations tactiques. Problème : avec un seul cerveau et une seule imagination, on ne peut pas interpréter des personnages qu’on ne peut simplement pas concevoir.
Si l’idée vous tente, j’aurai besoin d’analystes / participants pour une expérience sur cette plateforme dans le cadre de ma thèse (en Interaction Homme-Machine : rien à voir avec le JdR en soi). L’occasion de vérifier des théories sur les profils de rôlistes !
Bonjour Vanhulst,
C’est très intéressant.
Je vais de mon coté creuser la question Personnage/Identité en tâchant de me documenter et de consulter des spécialistes.
Si je peux aider d’une façon ou d’une autre à votre étude.
Il me semble manquer le plus important, ce qui motive la quasi totalité de mes personnages depuis des années : le challenge de jouer un personnage intéressant, non pas en termes de caracs ou de possibilités mais simplement de roleplay et d’identité !! Bien sûr il peut y avoir un peu des autres composantes, mais c’est l’identité du personnage qui me motive avant tout, qu’il soit inspiré d’un personnage de fiction existant ou qu’il parte d’une idée personnelle. Evidemment ça vaut plus pour des jeux d’ambiance et plein de possibilités que pour un Donjon basique…