Cette première séance a été semée d’embuches, mais fut riche en détail intéressants. Les quatre jeunes n’étaient pas tous présents pour diverses raisons, mais la Chronique ne devrait pas être trop impactée.
La séance a commencé par une courte présentation de l’univers de Libreté, les chefs du refuge (le Triumphirat composé d’Achille, Elenë et Ulysse). J’ai introduit rapidement la mécanique de Bile noire et le système de jeu. Pour rappel, cette mécanique est centrale dans la démarche éducative et thérapeutique de cette activité. Elle permet aux jeunes de manifester les émotions fortes que vivent leurs personnages.
L’expression des émotions est souvent difficile pour un public adolescent. Cette difficulté est souvent exacerbée pour les jeunes étant placés dans le cadre de la protection de l’enfance. La prise de Bile noire et la mise de celle-ci pour réussir les actions entreprises par les joueurs permettent de travailler sur les émotions que les personnages vivent. J’espère, grâce à la distanciation du personnage, permettre aux jeunes d’exprimer des émotions de manière appropriées. Je veux montrer par la narration que la violence peut être un exutoire, mais que celle-ci a des conséquences négatives sur soi et son entourage. À contrario, échanger avec les autres, discuter, partager ses ressentis permet de garder le contrôle de ses émotions et de se soulager du poids que l’on porte.
La première séance s’est faite avec Hugo, Marie et Robert. Pour des raisons personnelles, Lucie n’a pas pu être présente. Robert a exprimé des réticences à participer à l’activité. La présence de la psychologue de l’établissement le dérange. Il a une aversion prononcée envers ce corps de métier et ce qu’il représente. Après une discussion, Robert accepte de nous rejoindre, pour observer uniquement. Au bout de quelques minutes, lorsque Hugo et Marie commencent à créer leurs personnages, Robert souhaite finalement créer le sien. À la fin de la séance de création, Robert dit haut et fort qu’il ne reviendra pas.
Lors du débriefing avec ma collègue, nous nous sommes mis d’accord pour expliquer aux jeunes qu’elle participait à l’activité pour plusieurs raisons. L’une d’elles étant qu’elle souhaitait découvrir le jeu de rôle et le rôle de maitre du jeu. Par ailleurs, nous avons convenu que nous l’inclurons dans la fiction pendant les résumés de personnages où elle incarnera une exploratrice-vétérante à laquelle ils doivent rendre compte de leurs aventures.
À la deuxième séance, tous les jeunes étaient présents malgré les réticences exprimées par Robert. Lucie a pu créer son personnage et les autres ont peaufiné le leur. Nous avons pu jouer une courte session et les premiers enjeux ont été mis en place.
Création de personnages et perspectives
Hugo, la Brute nommée Light
Hugo a choisi très rapidement d’incarner la Brute. Cette décision n’est pas très surprenante, mais j’attends de voir ce qu’il va faire de cet archétype dans la Chronique. Il a choisi dans un premier temps les attributs les plus violents que suggérait la feuille : psychopathe, tueur, sadique… Il a associé cela à un physique repoussant (œil crevé, marque de brulures). Hugo est un jeune réservé qui repousse le lien avec les autres jeunes au quotidien. Cette apparence et ces traits choisis semblent refléter le rejet qu’il souhaite susciter.
Lors de la deuxième session, il a radicalement changé l’apparence et les traits de son personnage. Nous n’avions pas commencé à jouer, j’ai donc autorisé les changements. Il décrit dorénavant son personnage comme efféminé, portant du maquillage pour les cils, bronzé. Il a aussi effacé les traits sadique et psychopathe ne gardant que tueur. Ce revirement m’a surpris ainsi que ma collègue. C’est une facette que je n’avais jamais perçue chez Hugo. J’attends de voir comment il va incarner ce personnage et s’il souhaite explorer cet aspect.
Marie, la Solitaire nommée Saphir
Marie a choisi l’archétype du Solitaire. Tout comme Hugo, ce n’est pas une surprise. Tous deux ont choisi des archétypes qui correspondent à l’image qu’ils veulent montrer d’eux même. Marie a choisi elle aussi des attributs pouvant repousser les autres : Saphir est une fille de 15 ans aux cheveux emmêlés, vêtue de haillons et débrouillarde. Elle a aussi une ambigüité étrange qu’elle n’a pas vraiment définie. Dans l’équipement choisi, Marie a décidé de prendre des objets lui rappelant Jack Sparrow, sa lubie du moment (une boussole, un coutelas, un grappin et une corde).
Lors de la deuxième session, Marie est restée en retrait volontairement. La dynamique de la table se mettait en place et l’agitation était très présente. Je vais m’appuyer plus tard sur la compétence clé du Solitaire pour la mettre en avant. Sa compétence se révèlera très utile lors d’explorations afin de trouver de la nourriture ou des médicaments. J’espère la valoriser à travers cela et lui permettre de s’affirmer à la table.
Robert, le Chef nommé Kakashi
Robert a décidé d’incarner le Chef. Lors du choix de l’apparence du personnage, Robert n’a pas vraiment choisi son apparence. Il a rayé ce qu’il ne voulait pas être à savoir, une fille ou un enfant. Il a aussi rayé garçon manqué et ambigüité. Ce mot a d’ailleurs beaucoup fait parler autour de la table, les jeunes n’en connaissant pas le sens. Il a noté à plusieurs reprises « TUER » sur sa feuille. Sur la création de personnages, Robert était beaucoup dans l’imitation de Hugo et je pense qu’il a voulu reprendre l’adjectif tueur de l’archétype de la Brute. Sur l’équipement, il a mis l’accent sur l’apparence physique avec les vêtements de marque et le sabre d’apparat.
Lors de la seconde session, je lui est proposé de prendre un poste à responsabilité. Il a choisi d’être le chef d’une troupe d’explorateurs qui se rend régulièrement dans la Ville à la recherche de vivre. J’ai été étonné que le choix de Robert se soit porté sur cet archétype. C’est un jeune très discret et il ne se montre pas comme un leadeur sur le groupe. J’ai commencé sur la deuxième session à le mettre en position d’autorité et il a plutôt bien réagi et s’est positionné comme un chef responsable. Je vais continuer à le mettre dans cette position afin de travailler avec lui sur l’affirmation de soi et la prise de décision.
Cet attrait de la mort et de la violence va être central pour Robert. J’espère travailler autour de la violence de différents points de vue. Robert a été victime de violence il y a quelque temps. Il lui arrive de reproduire la violence qu’il a subie sur d’autres depuis peu. Je vais essayer de le confronter aux effets que cela a sur lui et sur son entourage et peut-être ouvrir un dialogue autour de cela. La mortalité va aussi être un sujet que je vais essayer d’aborder.
Lucie, la Princesse nommée Elsa
Lucie a choisi l’archétype de la Princesse. Le choix a été rapide, mais une hésitation a été présente quand je lui ai présenté l’archétype de la Maman. Nous n’avons pas été étonnés de cette hésitation. Elsa est une fille de 15 ans, a la couleur de peau fascinante, avec un accent charmant et venant d’un pays exotique. Elle est d’une grande beauté, blonde avec des mèches rose et bleu. Lucie a choisi les traits adorable et altruiste.
Tout comme Kakashi, le rôle de Princesse comprend des responsabilités et elle dispose d’une Cour d’une dizaine d’enfants qu’elle doit entretenir, mais qui prend soin d’elle. Nous avons commencé à développer sa cour pendant la séance. Lors de la session, elle a souhaité discuter avec Elenë, membre du Triumphirat et dirigeante de Libreté. Je l’ai ainsi placé face aux responsabilités d’avoir d’autres enfants à sa charge. Lucie n’a pas vraiment su quoi répondre et a mis fin à la discussion. Je vais continuer à la confronter à des responsabilités plus progressivement et tenter de faire émerger Lucie à travers son personnage.
Premières séances et installation des enjeux
Une fois la création terminée, j’ai amorcé la séance avec une scène de repas partagé avec tous les enfants de Libreté. Les joueurs constatent que les parts de repas qu’ils ont sont largement plus petites qu’habituellement. Light a, dans un premier temps, essayé d’être agressif contre l’enfant qui le servait. J’ai décrit une jeune fille de 8-9 ans plutôt petite pour vérifier s’il continuait de la menacer. Je lui avais aussi décrit des gardes qui surveillaient la distribution de nourriture. Alors qu’il commence à sortir un couteau, les gardes le mettent en joue avec leurs lances de fortune. Light range son couteau et prend sa ration sans faire plus de vagues.
Les autres personnages passent ensuite, Elsa a des paroles rassurantes envers la jeune fille qui sert les enfants de l’enclave. Saphir arrive en dernier alors que les casseroles sont presque vides mais a tout de même une ration.
Le Triumphirat prend la parole pendant le repas, signalant que le stock de vivres est presque vide. Ils demandent des volontaires pour s’aventurer dans la Ville afin de trouver de quoi survivre. Tous les joueurs se portent volontaires. Kakashi est le premier à le faire, incarnant ainsi le chef des explorateurs.
Les volontaires sont conviés à rencontrer le Triumphirat afin d’organiser l’expédition. J’en ai profité pour mettre en avant les archétypes à responsabilité (la Princesse et le Chef). Kakashi s’est bien positionné prenant la responsabilité d’organiser l’expédition en demandant l’équipement nécessaire. Comme évoqué plus haut, Elsa a éprouvé des difficultés à se positionner et je travaillerais cela sur la suite de la Chronique. Le choix de ses archétypes par Lucie et Robert est très intéressant et va me permettre de travailler avec eux la prise de décision et l’individualisation.
Light a voulu rencontrer Achille, un des membres du Triumphirat, après la rencontre en groupe. Depuis le début de la session, Hugo a signifié à plusieurs reprises qu’il voulait tuer les dirigeants pour prendre leurs places. Je ne voulais pas que ces enjeux de pouvoir soit présent dès le début de la Chronique, mais je garde en tête ce désir de Hugo. J’avais prévu cette possibilité dès le départ et je laisserais l’opportunité plus tard aux personnages que cela se produit. La rencontre avec Achille se fait avec deux gardes et Light a juste échangé quelques mots comprenant rapidement les risques encourus.
Les joueurs finissent les préparatifs puis partent tous les quatre avec quelques PNJ (deux membres de la cour d’Elsa et la brigade d’exploration de Kakashi). Light tente d’abord de partir seul dans son coin. Je mets en avant que Kakashi connait le chemin le moins risqué pour traverser le Désert de carcasses (un parking immense où des épaves de voitures forment un labyrinthe) du fait qu’il a déjà fait des expéditions. Light fini par rejoindre le reste du groupe.
Durant la traversée, les personnages se retrouvent assaillis par Ceux qui roulent, des sirènes étranges vivant dans le Désert de carcasses. Je leur fais faire un jet de dés chacun pour la traversée. Saphir rate son jet de « Jouer les casse-cous » sans miser de bile noire (7-) et se retrouve en danger. Rapidement, Kakashi envoie un membre de sa brigade à son aide et Elsa se précipite aussi vers elle. Kakashi utilise sa compétence « Commander » qui réussit parfaitement en misant une bile noire (entre 8 et 10), tandis qu’Elsa teste « Jouer les casse-cous » et réussit trop bien en misant deux biles noires (11+). Elsa, aider d’un membre de la brigade, sauve Saphir d’une sirène in extrémis, mais cela fait tomber l’arc que possède Saphir. Celle-ci se jette sur l’arc pour le récupérer et réussit son jet en misant cette fois une bile noire. Ils finissent de traverser en sécurité et se retrouvent face à la Ville tentaculaire et dangereuse.
La prise et mise de bile noire pendant la scène du parking a bien fonctionné, permettant de mettre en avant le stress des personnages et l’investissement dans les actions.
Nous avons conclu la séance sur cette scène, créant une petite frustration des joueurs. Ils sont impatients de jouer la suite.
Débriefing entre professionnels
Nous avons exclu le feu de camp pour la deuxième séance, celle-ci étant plus courte du fait de la création de personnages de Lucie. J’ai présenté la mécanique aux jeunes pour les prochaines séances.
Hugo a souvent parlé de tuer des PNJ et nous avons émis l’hypothèse qu’il souhaitait savoir s’il était possible de mourir dans le jeu. Je vais mettre en scène la mort d’un PNJ lors de la prochaine séance. De plus, je vais certainement aussi blesser un personnage à la prochaine séance (si l’occasion se présente) pour les confronter aux risques.
De même, Robert a aussi tenu ces propos. Il y a une part d’imitation d’Hugo mais pas uniquement. Je serais particulièrement vigilant aux réactions de la mort d’un PNJ lors de la prochaine séance. Je souhaitais commencer à développer un lien avec un PNJ, puis de le sacrifier afin que sa mort ait plus d’impact mais il semble nécessaire qu’ils aient connaissance de la létalité du monde. Je n’ai pas pour objectif de tuer les personnages des joueurs mais s’ils ont conscience du danger, ils prendront des risques en connaissances des conséquences possibles.
Je vais m’appuyer sur la compétence « Se débrouiller » du Solitaire, pour mettre en avant Saphir dans l’exploration. Marie était en retrait lors de la deuxième séance. Ce n’est pas très étonnant de sa part, étant de nature plutôt réservé. Les jeunes étaient assez excités et impatients, Marie n’a pas osé beaucoup intervenir mais ces interventions ont toujours été très pertinentes.
Lucie ne s’est pas encore vraiment positionnée en Princesse avec les responsabilités que cela entraine. Je verrais comment elle utilise l’archétype et si elle souhaite vraiment être mise dans une position de responsabilité au fil de la Chronique.
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