Depuis la création du Club de JdR du collège, mes diverses publications brossent un beau portrait. Je le présente comme une cellule ludique débordante, active, multipliant les initiatives… Soyons honnête, c’est une réussite par rapport à son objectif initial. Les médias de notre microcosme rôlistique me donnent la chance de faire partager cette expérience dans leurs colonnes.
[Pardon pour ce billet qui va faire réfléchir sur mon métier mais certainement déranger.]
Cependant, la structure reste un club dans un collège : avec ses contraintes et des problèmes quotidiens qui s’invitent toujours quand on ne le souhaite pas. J’avais jusqu’alors été préservé des incidents, des problèmes avec des élèves, de ce que nous nommons dans un collège : la « vie scolaire ». Cette année encore, le club est populaire. Il attire un public nombreux et donc, plus hétérogène.
Voici une scène, telle que j’ai pu la vivre, qui me rappelle à mes obligations d’enseignants, d’adultes et à la réalité de vivre avec des adolescents. A lire pour méditer.
C’était un jour comme un autre dans un collège comme tant d’autres
C’est un jeudi, jour consacré au club en cette année scolaire. Entre 13h et 14h, c’est la tranche horaire des 4e-3e. Premier constat : ils sont nombreux. Quasiment vingt élèves s’inscrivent sur la feuille d’émargement. Les élèves se dispersent entre les tablées, cherchent des parties, des maîtres de jeu, d’autres joueurs. Ce jour-là, j’ai un projet en tête, j’annonce que je ne tiens pas de tablées et j’invite chacune et chacun à jouer sa partie. Trois groupes se montent pour poursuivre leurs parties précédentes : Critical, D-Start, Tales From The Loops sont sur les tables. Un groupe reste en attente : leur maîtresse de jeu n’est pas encore arrivée.
De mon côté, je suis dans un coin de la pièce, juste devant le tableau de la salle. Avec l’ordinateur et le micro, je suis en mode « entretien » : je propose à quelques élèves de les interviewer en tête en tête pour discuter de leur pratique du jeu de rôle, leur regard sur le loisir, ce qu’ils y apprennent… Ce sont ces discussions qui nourrissent mes chroniques. Plusieurs se prêtent au jeu, s’assoient et répondent à mes questions.
Ce jour-là, il y a l’Elève. Je le connais, je l’ai eu en classe l’an passé. Je ne donnerais pas son nom. Nous, Prof, on a tous connu l’Elève : celui qui n’arrive pas se contenir. Celui qui entre dans une pièce et quelques secondes après, renverse une table, fait tomber une pile de feuille, dessine sur le tableau. Celui qui est capable de répéter plusieurs fois la même phrase provoquante/décalée en classe lors d’un cours : un jeu de mot, une remarque « décomplexée » sur la couleur de peau, l’origine…
Après 10 minutes, je vois que la maîtresse de jeu n’est pas présente, je regarde rapidement sur le logiciel de vie scolaire pour voir qu’elle a quitté le collège à midi pour un rendez-vous médical. Je le signale à son groupe et les invite à assister aux autres parties ou retourner dans la cour. Je commets ici une imprudence : je perds de vue l’Elève en question. Je le pense dehors. Je vois d’autres élèves qui sortent et entrent. Les membres du Club sont habitués à une certaine liberté : pourvoir sortir si la partie est terminée ou s’il faut aller aux toilettes. Je rappelle à vous, lectrices et lecteurs, qu’ils sont présents sur un temps « méridien », un moment de « repos » entre le repas et la reprise des cours. Les autres adultes animant un club s’accordent sur cette liberté qui nous semble nécessaire pour rester un moment « ludique », en dehors du déroulement normalisé des cours.
L’heure s’écoule et je déroule mes entretiens, avec un engouement certain des élèves qui se pressent pour répondre : l’exercice plait car l’adolescent aime parler de lui. Mon fichier texte se remplit de remarques délicieuses comme autant de pépites à exploiter pour de futurs articles.
Un incident comme tant d’autres dans un collège
Une surveillante entre alors dans la salle : elle est particulièrement remontée. L’Elève était resté dans les couloirs depuis tout ce temps. Il tapait aux portes des autres professeurs en classe, il injuriait des camarades dans la cour depuis les fenêtres, il frappait la porte donnant sur la cour jusqu’à l’endommager… L’Elève m’est ramené, je lui demande de s’assoir. Je veux en discuter avec lui juste après un dernier entretien. Je commets ici une seconde imprudence : la crise n’était pas terminée. Une élève avait amené des bonbons et laissé le paquet en libre-service pour le groupe. Lui, attrape des poignées entières de bonbons à la sonnerie et quitte la salle en courant. Les bonbons seront retrouvés écrasés et non consommés dans la cour. En rangeant le matériel du Club, je découvre que deux tours à dés sont abimées. Elles ne l’étaient pas au début de l’heure. Elles étaient à sa table au début de la session.
Certains peuvent y voir un élève « difficile » qui manque d’autorité. Les plus réac’ rappelleront qu’à leur époque ça n’existait pas (avec beaucoup de mauvaise foi d’ailleurs). La vérité est que c’est un élève qui va mal. Il passe ses journées à multiplier les incidents pour montrer qu’il existe depuis trois ans déjà. Il ne tient pas en place, il cherche les limites à chaque instant. Je le savais, il était comme ça en classe l’an passé. Plusieurs séances d’histoire-géographie ont été très perturbées. On le soupçonne HPI mais aucun diagnostic n’a jamais pu être posé car les parents ne sont jamais allés au bout d’un rendez-vous. Il m’a demandé de venir au Club dès la rentrée. J’ai accepté. J’ai cru pouvoir le canaliser par le jeu de rôle en présumant du temps que je pouvais lui consacrer. Les premières parties se sont bien déroulées. Depuis trois sessions, il était à la tablée d’une maîtresse de jeu, sans moi et sans incident notable.
Rapports, Conséquences et rappels à l’ordre
L’incident pourrait être anodin mais il ne l’est pas pour plusieurs raisons. La première étant « mon égo blessé » dirons-nous. J’ai été en colère. En colère contre le « système » qui ne permet pas d’offrir à l’Elève un accompagnement parce que les parents sont épuisés et absents. En colère contre moi de ne pas avoir vu l’incident venir, tout absorbé que j’étais par mes entretiens.
L’autre raison est le retour de mon administration, mon autorité supérieure. Ce fut un « rappel à l’ordre » informel. Quelques phrases échangées à la cantine « M. FAJAL, je peux vous parler quelques minutes ? ». Le contenu, je le connaissais déjà : rappelez vous que les élèves sont sous votre responsabilité ; peut-être faudrait il que les élèves soient inscrits à l’année et que cela figure sur l’emploi du temps (et donc, deviennent une obligation scolaire) ; les consommations de bonbons est interdite en classe si un élève fait une réaction allergique… ». Il ne me dit rien de déplacé, il est dans son rôle.
Dernière raison, le retour de plusieurs « habitués » du club. Ils n’ont pas apprécié l’incident. Le Club est perçu par beaucoup comme une « bulle » à l’écart des soucis de la cour et/ou de la classe. Ils y apprécient l’ambiance de groupe, l’émulation, la relative confiance accordée. Plusieurs ont clairement dit qu’ils ne viendraient plus si ce n’est pas à ma tablée. Difficile de faire jouer tout le monde. J’estime encore mal les « dégâts » sur l’image du Club au sein de ses membres. Bref, un motif de plus d’être en colère. La survie du Club n’est pas menacée, loin de là, mais une réflexion doit être menée.
Et maintenant, que faire ?
Quelle morale pour cette histoire ? Peut être comprendre que le JdR ne fait pas tout. Toute vie de groupe avec des jeunes doit se faire avec un regard d’éducateur et de dépositaire de l’ordre du groupe. Oui, un Prof de JdR doit surtout être prof. Devenu populaire, le Club doit gérer la diversité des profils d’élèves qu’il intègre. Finalement, ce sont des questions que plusieurs associations ont dû se poser à propos d’un ou plusieurs de leurs membres fragiles et/ou clivants. Cependant, ces structures ne sont pas dans un collège avec ses contraintes et ses règles.
La fin de l’histoire ? Il va falloir l’écrire. Dois-je exclure l’Elève pour avoir brisé le contrat moral du Club ? Il est déjà interdit de multiples structures non obligatoires. Dois-je l’y laisser au risque de passer des séances à le surveiller à chacun de ses déplacements ?
Son cas isolé est révélateur : cela s’est produit et peut se reproduire (voire va se reproduire). Je suis au croisement entre le rôle de l’encadrant préservant la vie des autres membres du Club et de l’éducateur qui veut aider l’Elève à grandir et se fixer ses limites. Le jeu de rôle doit pouvoir l’y aider comme les expériences menées par plusieurs intervenants de ce site l’ont montré ; mais cela est au risque de « perdre » plusieurs autres joueuses et joueurs qui viennent chercher autre chose que de l’éducatif.
Il en reste qu’il va falloir réviser le fonctionnement du Club, décider d’interdiction ; fixer une jauge d’entrée ; obliger les élèves inscrits sur des tablées à venir pour deux ou trois sessions et contrôler leur déplacement. Il va falloir accepter de perdre un peu de notre liberté et de notre autonomie.
Arbitrer, c’est aussi ça, la vie dans un collège.
PS : la décision sera prise de l’exclure du Club ; plusieurs autres membres ont clairement exprimé que sa présence et ses remarques déplaisantes « brisent » l’envie de jouer.
J’ai été suspendu 6 mois d’un club de JdR (suspension ramenée à 4 mois), car plusieurs MJ déclaraient ne pas pouvoir mener si je risquais d’être à leur table (j’avais 48 ans).
Bien sûr, la survie du groupe l’emporte sur le sort de l’individu, donc il n’y pas de question à se poser. Mais si vous vous sentez obligé de donner une autre chance à l’élève problématique, vous pouvez toujours lui dire qu’il pourra retenter son intégration dans 6 mois. 🙂