Château Falkestein : la réédition !

Depuis plus d’un an, je joue une campagne de Château Falkestein que j’adore. J’y incarne Catherine, une éminente scientifique médecin de cinquante ans, grincheuse, tête de mule, terre à terre et casse-cou. Catherine navigue au milieu des complots, des Faës et de la thaumaturgie. Le jeu est réédité en français par les Lapin Marteau et sort actuellement en boutique ainsi que trois suppléments et une carte. J’ai eu la chance d’interviewer Jérôme et Coralie qui nous parlent de ce jeu haut en couleur.

 

S: Vous êtes les premiers fans de Château Falkenstein, pourquoi ?

LM (pour Lapin Marteau) : Merci ! On est clairement fans. En fait, on l’apprécie pour de nombreuses raisons. Si on devait les résumer en une phrase, cela reviendrait à dire que même malgré son âge, Château Falkenstein regroupe tout un tas de « petits trucs » un peu partout qui font qu’il dégage une personnalité vraiment unique. C’est sans doute un peu abstrait dit comme ça, mais il y a un style Château Falkenstein. Cela se retrouve par exemple dans la profusion en termes de possibilités de jeu, dans certains aspects de son game design, ou dans le fait que tous les éléments qui pourraient y paraître fantaisistes et capillotractés sont en fait tellement bien intégrés à l’univers qu’ils en deviennent totalement crédibles quand on joue (si on accepte que la magie et les Faës existent, bien entendu). Et puis, il y a la façon dont il est rédigé, qui n’est pas sans rappeler un roman d’aventures écrit par un narrateur qui viendrait de notre monde et qui aurait été catapulté par magie dans celui du jeu. 

Cette personnalité ressort aussi dans le ton général de l’ensemble, qui est assez épique et lumineux. Si son auteur est celui de Cyberpunk 2020, un jeu emblématique d’un genre où l’humanité a fini par se laisser dominer par une technologie dont elle est devenue l’esclave, ce n’est pas encore le cas ici. On joue dans notre Europe des années 1870 (avec quelques différences de taille, certes), mais même si on est en train de vivre une révolution industrielle, on a encore le choix. Il y a bien des impérialismes déments qui s’entre-déchirent, ceux-là même qui donneront toutes les horreurs de la première moitié du XXe siècle, mais il est encore possible de sauver le monde. Et il donne envie de se battre pour lui. 

Enfin, on a tendance à penser que le jeu est d’autant plus intéressant aujourd’hui parce que justement, il ne cache pas cette histoire de rapport à la technologie sous le tapis. Au contraire, il a des choses à dire là-dessus, et à l’ère de l’information, sans doute plus encore qu’au début des années 90, il est impossible de ne pas faire des liens avec notre époque. 

Après, puisque l’on parle des « premiers fans », on voudrait en profiter pour remercier tous les fans de la première heure du jeu. On pense à certains noms connus des rôlistes, comme Anne Vétillard, Antoine Bauza, Emmanuel Gharbi, Jérôme Darmont ou Philippe Rat, mais ce ne sont pas les seuls. Discuter avec eux nous a permis de confronter les visions autour du jeu, qui sont forcément diverses après plus de deux décennies, et de parfaire la nôtre. C’était aussi instructif qu’enrichissant.

 

 

S: Quels sont les mécanismes du jeu qui font son originalité, même encore aujourd’hui ?

LM : Château Falkenstein compte de nombreuses particularités. Il ne les a pas forcément « inventées », mais elles étaient loin d’être courantes à l’époque de sa sortie, surtout regroupées dans un même système. Si la plupart en ont inspiré d’autres depuis, cela n’empêchera sans doute pas Château Falkenstein de réserver quand même quelques surprises, même aux amateurs des jeux les plus récents. 

Parmi ces particularités, on trouve notamment :

  • l’utilisation de cartes au lieu de dés. Elles permettent par exemple d’augmenter les chances d’un personnage de réussir une action ou de représenter l’énergie magique accumulée par les thaumaturges avant le lancer un sort ;
  • les niveaux des Talents des personnages sont définis par des adjectifs clairs comme « moyen » ou « prodigieux », ce qui encourage à ne faire les tests que lors des moments dramatiquement importants, et pas par défaut ; 
  • les différents résultats d’une action permettent d’avoir des complications lorsque celle-ci n’est réussie que de justesse. Si cet aspect rappellera sans doute des choses aux amateurs d’Apocalypse World, il permet par exemple de relancer plus facilement l’action qu’après un succès ou un échec « sec », ce qui a de vrais impacts sur la narration ; 
  • un journal intime vient remplacer la traditionnelle fiche de personnage. Celui-ci mêle aspects techniques et éléments de background, puis devient ensuite le lieu de prise de notes des joueuses et des joueurs, d’intégration des aides de jeu, etc.

Et tant qu’à parler du journal, on aimerait ouvrir une parenthèse. En effet, traditionnellement, cet accessoire a souvent été regardé un peu de haut, voire abandonné par certains groupes. Pourtant, c’est un formidable outil pour créer du jeu autour de la table, et son potentiel a été encore démultiplié depuis la démocratisation du numérique. Pour nous, si l’on peut certes se débrouiller pour jouer sans, il fait néanmoins partie intégrante de l’expérience. Si cela vous intéresse, on vous encourage à aller lire ces deux billets sur notre site où on explique comment en tirer le meilleur parti et montre plein d’exemples tirés de nos tables :

https://www.lapinmarteau.com/de-chateau-falkenstein-et-de-ses-carnets-1-x/

https://www.lapinmarteau.com/de-chateau-falkenstein-et-de-ses-carnets-2/

 

 Il est évident que l’univers de Château Falkenstein est marquant. Il suffit de le lire pour que ça saute aux yeux. Mais les éléments ci-dessus participent tout autant à la personnalité dont on vous parlait un peu plus tôt. D’ailleurs, on entend souvent les anciens fans nous expliquer qu’ils ont commencé à jouer à Château Falkenstein juste parce qu’ils pensaient y trouver un jeu steampunk, mais qu’ils ont accroché et ont continué à y jouer parce que c’était Château Falkenstein.

 

 

S: Est-ce que c’est difficile de ressortir un vieux jeu dans le contexte actuel ?

LM : Une chose est sûre, c’est que le financement participatif facilite les choses. Sans lui, nous n’aurions sans doute pas pu essayer de publier un jeu et plusieurs suppléments en même temps, ni de faire exactement la version que l’on voulait des livres. Là, on a eu par exemple la chance de pouvoir s’appuyer sur une équipe particulièrement talentueuse. On pense par exemple à Anthony Boursier, Mathilde Marlot, Jérémie Moran ou Olivier Sanfilippo pour les illustrations, mais ce ne sont pas les seuls. C’est d’ailleurs pour cela que l’on a pas proposé de palier dans notre campagne de financement : Château Falkenstein aura déjà la forme que l’on souhaite lui donner.

En revanche, difficile de répondre pour les autres jeux. On en a vu beaucoup réapparaître ces dernières années, aussi grâce au financement participatif, et il faut bien avouer que la plupart de ces projets sont très différents. En tant qu’auteurs (donc indépendamment de nos activités au sein de Lapin Marteau), on a par exemple participé à des remakes ou à des nouvelles éditions d’un jeu par l’équipe qui en était à l’origine. Les contraintes sont très différentes à chaque fois. 

Outre le fait d’être fans, ce qui nous a surtout motivés pour Château Falkenstein, c’est l’idée qu’il a bien plus à proposer que la simple nostalgie. De notre point de vue, ce jeu a la capacité rare de proposer quelque chose de neuf, aussi bien à ceux qui le découvrent aujourd’hui qu’à ceux qui l’ont connu à l’époque. Ceci est principalement dû à deux facteurs. 

Le premier, c’est que l’on pense que ce jeu est paradoxalement sorti trop tôt et que l’on peut bien plus facilement en tirer parti aujourd’hui qu’à l’époque. On a déjà parlé de son rapport à la technologie qui prend une tout autre dimension aujourd’hui, mais c’est aussi le cas de celui avec le genre steampunk.  Pour un adolescent des années 90, à une époque où ce mouvement littéraire était encore balbutiant sous nos latitudes et où on n’avait pas encore tous accès à Internet, il était souvent difficile d’avoir d’autres images en tête que Jules Verne. Même Sherlock Holmes, héros populaire s’il en est, n’était pas aussi accessible qu’aujourd’hui. Désormais, on trouve des références steampunk dans tous les médias, et il suffit d’indiquer une série sur une plateforme de streaming à son groupe pour que tout le monde les partage, mais aussi pour découvrir de nombreuses idées que l’on n’aurait jamais eues alors. En fait, c’est exactement comme pour les journaux intimes dont les perspectives pouvaient sembler limitées alors, et qui offrent aujourd’hui des possibilités insoupçonnables à l’époque.  

Le second, c’est que sa première traduction n’a pas eu le succès qu’elle méritait. Et pour cause, elle est sortie au début de ce qui était une des pires périodes pour le JdR francophone. En conséquence, la gamme s’est arrêtée très vite, après un unique supplément. Or, nous avons justement l’objectif de publier aussi ce qui n’a pas été traduit à l’époque, et même du matériel qui n’existait pas encore. Dans les ajouts, on peut citer par exemple l’écran ou la carte de Nouvelle-Europe, mais aussi certains suppléments proposés dès la précommande. Pour la suite, tout dépendra du succès du jeu, même si nous avons pris les devants en ayant déjà fait traduire quelques prochains titres de la gamme. 

Bref, s’il suffit de lire nos articles pour savoir que l’on n’est pas les derniers à apprécier les jeux anciens ou à penser qu’il est important que ceux qui ont marqué l’histoire de notre loisir restent disponibles, mais on est surtout persuadés que Château Falkenstein offre bien plus. Pour nous, il a des choses à nous apprendre, que l’on soit un joueur des années 90 ou des années 2020 et, plus important encore, des moments de jeu inoubliables à nous faire passer.  

Écrit par Sylphelle

Je suis joueuse, MJ/facilitatrice, créatrice de jeux (jdr et GN) et animatrice de clubs jdr pour enfants :). Il y a plus de détails (et des jeux que j'ai fait !) sur mon itch.io ici : https://sylphelle.itch.io/.

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