Dans l’épisode précédent : Amadou et l’auteur de ces lignes se sont lancés un défi : animer une partie de Chroniques de l’Etrange Hong Kong pour un groupe de collégien ; y tester les règles et l’univers auprès d’un jeune public. L’écriture et le choix du scénario se sont fait en lien avec les programmes et les compétences du collège, surtout en géographie. Voici quelques paragraphes pour rapporter l’expérience et ses résultats.
Retrouvez la première partie ici : PREMIERE PARTIE
Deuxième épisode : face aux joueurs
La partie s’est déroulée en quatre sessions de 50 min, dont une session zéro de création de personnage et de présentation de l’univers. L’aventure s’est étalée sur les mois de mars et d’avril. Cinq filles en classe de 3e (13-14 ans) ; Lou, Charlène, Lise, Jade et Salomée ; ont accepté d’endosser des identités fictives et d’explorer les mystères de Hong Kong. Dans le corps du texte, j’interviens beaucoup à la première personne, étant le maître de jeu. N’y voyez pas une volonté de m’attribuer le premier rôle, j’ai trouvé le format plus pratique pour raconter la partie plutôt que de mentionner « le narrateur, le maître de jeu… ». Vous me direz en commentaire si la posture vous dérange.
HORS CHAMPS : LES ALEAS DE LA VIE AU COLLEGE
La principale raison expliquant l’étalement de l’aventure sur deux mois vient de la « densité » de ladite période dans les établissements scolaires publics. Le Club n’a pu se tenir à plusieurs reprises en raison de l’occupation de la salle pour des raisons exceptionnelles : atelier de prévention des conduites addictives ; intervention de la Brigade de Prévention de la Délinquance Juvénile ; Brevet Blanc… Ces actions ; formidables pour les élèves ; mobilisent des personnels, des salles et des élèves. On découvre une heure avant la séance que la salle est occupée par un intervenant installé pour la journée ou que les joueurs sont mobilisés sur un atelier et ne pourront être présents. Dans les deux cas, il est trop tard pour déplacer les affaires du club et informer les autres élèves.
Je souligne ici la grande difficulté rencontrée par toute activité fixe dans un établissement scolaire. Vous n’êtes pas responsable de vos locaux et le pédagogique prime toujours sur le Club. Ces modifications de salle auraient pu être anticipé mais souvent, ce n’est que lorsque l’intervenant arrive le jour J qu’il faut opérer des changements de salle car il a tel ou tel besoin de matériel.
Je n’ai aucune solution à donner, plusieurs de mes collègues connaissent ces situations. Il faut savoir prendre sur soi et faire preuve de flexibilité…
SESSION 0 : QUEL EST TON PERSO ?
Allons à l’essentiel : ce fut largement la session la plus intéressante de l’ensemble de l’expérience. Lors de la description de l’univers aux joueuses, elles furent plutôt perplexes. Elles avaient peu de références dans leur culture personnelle, leurs loisirs et les univers qu’elles explorent d’habitude. Il m’a semblé complexe de les faire entrer dans le jeu en jouant les « fat si ». Je décidais alors de jouer la carte de l’individualisation : leur faire jouer des versions « in game » (ludificisées ?) d’elles-mêmes.
Voici l’histoire que je raconte pour précéder la création de personnage : « vous venez d’obtenir avec succès votre brevet des collèges. Fières de vous, vos parents acceptent de vous offrir des vacances au bout du monde : trois semaines à Hong Kong ! Dès le début, ce voyage est dépaysant : surtout lorsque vous découvrez que votre logement est un temple taoïste tenu par un moine espiègle et branché, faisant office d’auberge de jeunesse. Les jours passent et vous vous sentez étrangement imprégnées par l’ambiance, les bruits et les odeurs du Port Parfumé. »
Puis, je distribue les fiches de personnages simplifiée. J’y maintiens les cinq aspects, les compétences et les trésors. J’explique ainsi les significations des aspects et je propose aux filles de créer leur personnage en fonction de ce que serait leur caractère. Pour rendre la chose ludique, j’organise des tours de table : chacune est interrogée sur le rapport d’une autre avec un des aspects. Par exemple, pour Lou, chacune des autres filles écrit sur un post-it l’aspect qui semble être le plus « marqué » dans sa personnalité de tous les jours.
Ce petit exercice fut un véritable travail de cohésion de groupe. Pour mettre en contexte, ces cinq filles se connaissent depuis l’école primaire. Elles sont très proches au collège et en dehors, comme peut l’être un groupe de « BFF » de 14 ans. Régulièrement, elles dorment chez les unes et les autres et il est courant qu’en partant en vacances, les parents de l’une ajoutent une autre au séjour. C’est donc peu dire qu’elles se connaissent « vraiment » !
Le résultat fut rafraichissant. Lou est une excellente élève, très compétitrice dans les cours et très « dynamique » dans les jeux et le sport. Elle pratique d’ailleurs du judo et hand-ball. Les autres sont toutes d’accord pour dire que c’est une fille adorable mais qu’il vaut mieux avoir dans son équipe. L’avatar « in-game » de Lou se retrouve donc doté d’un fort aspect METAL mais d’un faible EAU. Les compétences sélectionnées compilent ainsi l’érudition, les prouesses, le kung-fu. Salomée n’est pas une élève très scolaire mais elle est sociable et impliquée dans son équipe de rugby (voire elle VIT rugby comme peuvent le faire les adolescents qui ont une passion). Son « moi » rôlistique se retrouve doté d’aspects METAL et TERRE élevés et des compétences prouesses et kung-fu. Jade est la plus ouverte vers le reste du monde, discutant avec beaucoup et sachant toujours se rendre agréable, sympathique auprès de ses pairs et des adultes. Ce côté « charmeuse » est souligné par ses amies qui dotent son personnage d’un important attribut de FEU et de BOIS. Sa principale compétence devient « mondanités ». Dans la bande, Charlène est la plus posée (et celles qui obtient les meilleurs résultats scolaires) et celle qui cherche toujours à apaiser les tensions entre les tempéraments parfois enflammés de ses amies. En jeu de rôle, Charlène est toujours celle qui va jouer un prêtre, un soigneur, un soutien. Son personnage se retrouve doté d’un aspect EAU élevé et une compétence érudition à haut niveau. Le cas de Lise fut le plus intéressant, car elle n’était pas du tout en accord avec l’image qu’elle se fait d’elle-même et l’image qu’ont ses amies. Lise est une jeune fille qui peut être discrète et réservée mais qui dessine et écrit avec talent. Ses amies proposaient de la doter d’un fort aspect FEU. Elle n’était pas d’accord car elle ne se retrouvait pas du tout avec les descripteurs « empathie » et « chaleureuse ». Le débat fut animé et dériva sur les caractères de chacune et de la complexité des mots à multiple sens que nous utilisons. Cela m’inspire une réflexion à faire sur la façon dont je peux, en tant que rôliste et aussi en temps d’enseignant, créer de la confusion en usant un terme qualificatif. Y compris dans mes cours, une session 0 pour accorder le vocabulaire doit être plus régulière.
L’équipe est prête, il faut maintenant jouer.
« Je décidais alors de jouer la carte de l’individualisation : leur faire jouer des versions « in game » d’elles-mêmes. »
EPISODE 1 : WELCOME TO HONG KONG
L’histoire commence par une longue narration pour présenter le contexte. Aidé par des extraits du jeu, des articles et des vidéos tirées de youtube, je décris les premiers jours de « vacances » du groupe dans la métropole. J’insiste sur le dépaysement, la fusion entre tradition et modernité agrémentée de petits détails touristiques. Les images d’ambiance du livre et l’écran sont imprimées et affichées autour de la table de jeu. En fond, je diffuse une des musiques mise en ligne sur le site de l’éditeur et j’y mêle une bande son avec des bruits d’ambiance de ville. Je demande ensuite au groupe de choisir et décrire une activité marquante effectuée pendant cette première partie du séjour : elles choisissent de se « souvenir » d’une longue promenade dans les rues. Cette scène permet de demander le premier jet, l’activité de « cohésion » qui ouvre le « Loksyu ». Elles choisissent d’y associer la compétence art pour décrire leurs impressions lors de ce moment collectif.
Ensuite, vient le moment de première scène de tension. Je pose le cadre. Ma narration se concentre sur le temple taoïste qui accueille nos joueuses. Je décris avec plaisir l’étrange bonze rieur qui s’occupe d’elles. Je prends le temps de bien décrire comment il joue avec son collier à bille (ce qui vaut une petite incompréhension de la part de Jade qui se prend d’un fou rire toute seule lorsque le mot « boule » est prononcé à table).
Puis, après quelques dialogues avec le PnJ, l’action se centre sur les PJs qui doivent choisir leurs chambres, décrire comment elles dorment et ce qui se trouve auprès d’elles lors du coucher. Puis, la musique change pour devenir plus inquiétante. Je fais effectuer des tests de BOIS-Perception. Les succès me permettent de déterminer l’ordre dans lequel elles vont se réveiller.
Lou et Charlène, dont les personnages partageaient la même chambre, sont réveillées par un froid mordant. Les couloirs sont pleins d’une brume glacée qui étouffe les sons et bloque la vue. Des bruits étranges viennent de la chambre de Jade et Lise. Lou décide d’aller voir, Charlène part à la recherche du bonze (quel que soit l’âge, les PJs forment toujours deux groupes lors des scènes d’épouvante…). Elle trouve le PnJ plongé dans un sommeil profond, presque surnaturel, qu’elle ne parvient pas à stopper. Lou entrouvre la porte de ses camarades et aperçoit une forme humaine, grande comme un jeune adolescent, pâle et dont les pieds sont plongés dans les épaisses volutes de brouillard. Lou réussi son test de peur et part réveiller le dernier membre du groupe Salomée. Amusée par la scène, Salomée fait le choix de jouer le côté « soupe au lait » de son avatar et décrit comment elle hurle pour protester contre ce réveil nocturne… Je choisis d’utiliser cette action pour permettre aux deux autres de se réveiller et d’alerter Charlène. Le groupe se reforme pour poursuivre la scène.
Le jeune garçon, que tout signale et interprète comme un fantôme, s’effraie des cris et de l’agitation. Jade et Lise tentent alors de le « capturer » en lançant leurs draps ; Lou et Salomée souhaitent le ceinturer et Charlène reste en arrière, pas vraiment convaincue de l’utilité de ces actions. Je demande aux joueuses de choisir l’aspect et j’impose la compétence « prouesse ». Les succès sont divers, j’utilise du Tin Ji pour que le spectre évite les draps (car je ne savais pas comment interpréter la réussite de cette action). Les attaques sont validées et voilà que le jeune fantôme est ceinturé solidement. Je décris alors comment il panique et comment les volutes glacées s’épaississent alors qu’il tente de se libérer. Jade, aidée de Charlène, prend l’initiative de calmer la situation et demande de faire un test de mondanité pour l’apaiser. Jade utilise son aspect FEU et Charlène EAU. Elles piochent dans le Loksyu. Magie du jeu de rôle, elles empilent un nombre impressionnant de succès ! La discussion peut s’engager alors que Lou et Salomée acceptent de lâcher leur prise : le jeune garçon explique qu’il a froid, qu’il se sent seul, qu’il cherche des amis. Il raconte être venu s’installer à Hong Kong depuis le centre de la Chine et que ses parents doivent le rejoindre bientôt. Plus les questions des joueuses sont précises et plus les réponses du fantôme deviennent vagues, comme si une part de sa mémoire était lacunaire. Après quelques minutes, Jade décide de dire directement « mais on ne peut pas passer du temps avec toi, tu es mort ! » ce qui provoque une crise chez le PnJ, le fait hurler tel une banshee (avec perte de point de SAN). Il disparaît alors dans la brume, laissant les filles perplexes mais surtout… curieuses.
Joueuses averties de JdR, les filles s’entendent pour désormais trouver ce qu’il est advenu de ce jeune garçon. Lou part faire des fouilles dans la bibliothèque du bonze endormi, effectue un test d’enquête pour chercher et trouver des informations et apprendre des éléments sur les Gwai, les revenants chinois et plus particulièrement les Waanjing, les fantômes.
La sonnerie retentie, la partie s’achève sur une dernière remarque de Salomée : « en vérité, si on lâche l’affaire, on peut finir la nuit mais bon, il n’y aurait pas d’histoire… »
« en vérité, si on lâche l’affaire, on peut finir la nuit mais bon, il n’y aurait pas d’histoire… »
EPISODE 2 : LES SOUTERRAINS DE HONG KONG
Une semaine plus tard, la partie reprend dans un Club très fréquenté ce jour-là avec une intense partie de Loup Garou de Thiercellieux à 15 participants dans la salle.
Nos aventurières décident de remonter la piste de cet intriguant fantôme. S’il se manifeste dans ce lieu, c’est que sa dépouille doit être proche. Lou propose de remonter la piste du brouillard glacé. Elles quittent leur auberge (en ayant oublié de me dire qu’elles se changeaient. Nous avons donc convenu qu’elles étaient toujours en pyjama pour la suite de l’aventure). Elles remontent la piste jusqu’aux caves. Une partie du mur est effondré et donne accès aux égouts. Après plusieurs blagues et questions sur la présence d’éventuelles tortues experte en art martiaux, elles décident de s’y aventurer.
J’utilise une des illustrations du livre de base pour décrire ces égouts. L’ambiance musicale joue sur les bruits d’eaux courantes, d’échos dans les tunnels et des bruits de pas sur des sols humides. Je place ma première scène d’action : une horde de rat remonte le tunnel et se dirige vers elles. Ils semblent fuir. Je laisse quelques secondes aux filles pour me décrire leur action : Lise et Salomée se perchent sur le mur, Charlène et Lou font front et Jade saute directement dans l’eau sale. Lou et Charlène effectuent des tests de kung fu et filouterie pour limiter les griffures et morsures de la horde ; Lise, Salomée et Jade font des tests de prouesse. Lou et Charlène essuient des blessures et il faut par la suite intervenir pour aider l’avatar de Jade à sortir des eaux usées… Cette petite scène permet de réveiller les joueuses (un peu moins concentrées en ce jour de grande fréquentation) et donner une direction à suivre.
En se montrant plus prudente, elles accèdent à un mur éboulé. L’effondrement est récent : on peut entendre les bruits de machine de chantier en action dans la rue au-dessus. Des tests de filouterie permettent d’accéder aux caves sans être ni vu, ni dérangé. Les caves de l’immeuble dans lequel elles se trouvent désormais sont très vastes et utilisées comme « hôtellerie de fortune ». Elles y trouvent des literies, des mobiliers improvisés, des affaires entassées dans des niches de quelques mètres carrés. Des tests d’enquête révèlent qu’elles appartiennent à des migrants, certainement en situation irrégulières ou miséreuses, hébergés dans ces logements de fortune. Ces caves sont actuellement désertées, les résidents ont dû fuir précipitamment puisque leurs affaires sont encore présentes. Elles décident de remonter vers le rez-de-chaussée.
En haut des escaliers, c’est une vaste pièce d’un immeuble abandonné. Les portes et fenêtres sont clouées mais l’intérieur est couvert de tag, le sol jonché de débris, déchets et détritus. Dans la rue, des machines de chantier démolissent un immeuble. Celui dans lequel elles se trouvent semblent être promis au même destin dans les semaines à venir.
J’utilise le Tin Ji pour introduire une nouvelle scène. Trois personnes, visiblement membres de gang, se dirigent vers les caves. Peut-être pour récupérer une partie des quelques objets abandonnés par les résidents. Pour bien les décrire, j’utilise un des visuels du livre de base. L’équipe tente la discrétion mais les dés sont moins favorables cette fois ci. Elles tentent bien de discuter et d’expliquer « être là par accident » mais les joueuses et leurs avatars (via un test catastrophique) se montrent peu convaincantes. Lou et Salomée décident alors de passer en force : la bagarre commence !
C’est un combat difficile qui s’ouvre dans lequel chacune tente de tirer profit de ses capacités (prouesse, kung fu, lancer de cailloux). Cependant, les vents du destin sont sévères (entendre : elles empilent les tests ratés et les décisions inappropriées comme changer de cible pour aider une copine ou tenter de se cacher derrière un mur en pleine bagarre). Résultats, après trois tours, deux d’entre elles sont au sol sans connaissance. Une troisième est mal en point et les deux autres résistent encore en ayant réussi à mettre hors combat deux assaillants. Le troisième n’est pas même pas entré dans la danse. Il se révèle être un esprit araignée, un « Louzing ». Je décide de le jouer « ouvert » aux négociations en comprenant que mon groupe court à sa perte. La négociation s’engage et elles tentent d’amadouer le grand méchant pour qu’il accepte de les laisser partir. Je décide qu’il accepte mais qu’il faudra, en échange, une offrande. Un contrat funeste est ainsi tacitement signé.
La sonnerie retentie à cet instant, sur cet échange entre Lou et Jade : « – Attendez, on a discuté quinze minutes avec lui sans lui demander des informations sur le fantôme. »
Jade : « Quel fantôme ? »
Lou : « Bah, celui qu’on doit retrouver, qui était dans la chambre avec ton drap sur la tête ! »
Jade : Ah, oui, c’est vrai qu’on devait faire ça ! Je ne me rappelais plus pourquoi on trainait dans ces égouts ! ». Elles quittent en salle en riant et je comprends mieux pourquoi ma partie avait été aussi difficile à mener.
« – On a discuté quinze minutes avec lui sans lui demander des informations sur le fantôme… »
« – Quel fantôme ? »
EPISODE 3-4 : A LA DECOUVERTE DU MONDE L’OCCULTE
Cette session finale a eu beaucoup de mal à se tenir. Elle s’est étalée sur deux séances. La première, nous n’avons eu qu’une demi-heure de jeu car les joueuses étaient mobilisées pour une intervention l’heure d’avant et n’ont eu que peu de temps pour déjeuner. Puis, pendant trois semaines, nous n’avons pas eu Club. J’ai décidé de « privatiser » une salle pour une session exceptionnelle juste pour terminer la partie avant les congés de printemps.
La partie reprend après une ellipse de quelques jours : la nuit s’achève, les filles se changent et tentent de reprendre le cours de leur séjour. Je raconte alors qu’elles se sentent mal. Deux sont épuisées sans raison ; une cauchemarde qu’elle est empêtrée dans une toile et qu’une menace s’approche ; une autre est pâle comme un linge, la dernière se montre de plus en plus agressive sans raison… Je termine cette introduction en racontant que le bonze les observe de plus en plus avec inquiétude et méfiance. Le scénario commence : elles décident de s’ouvrir à lui à propos de l’aventure de l’autre nuit.
Jouant avec son collier, le bonze propose de se livrer à un rituel. Elles acceptent. Je décris la mise en scène de ce rituel, les objets, l’encens, les gestes, les paroles, les numéros… La vérité tombe : le Louzing les a ensorcelées ! Il puise dans leur énergie vitale pour se nourrir et elles sont piégées puisqu’elles ont « accepté » son contrat à la fin du scénario précédent. Il leur faut se sortir de ce piège et pour cela, il va falloir explorer le monde des « fat si » !
Le bonze se révèle être un ancien exorciste mais il ne se sent pas en mesure d’affronter une telle entité. Il propose aux filles d’aller rencontrer un protecteur pour lui demander conseil. Voilà que le groupe se dirige alors vers le parc de Walled Street. Nous repartons pour une description de la frénésie de la vie de Hong Kong dans les rues, les marchés, les boulevards puis du contraste avec le calme et la sérénité du Walled Street Park. Le bonze les laisses assises devant une table avec un échiquier puis il s’éclipse. Un vieux monsieur arrive alors, dépose ses pièces et défi les filles. La partie d’échec permet alors d’animer la discussion qui s’engage (sinon que je n’avais pas anticipé que mes joueuses ne savaient pas jouer aux échecs… un joli loupé pour cette scène qui voulait mettre un peu d’intra diégétique dans l’action).
Sur ce constat, c’est la fin de la session et nous nous donnons rendez-vous pour le final la semaine suivante. Il se tiendra trois semaines plus tard…
La discussion reprend, les avatars jouent aux échecs mais pas les joueuses. Je réponds par la voix de mon PnJ aux multiples questions sur le monde de l’occulte dans Hong Kong, les pouvoirs des esprits, les questions d’équilibres. Le vieux monsieur se dit prêt à les aider. Les libérer de leur contrat avec le Louzing mais en échange d’une quête : ramener la paix pour l’âme du jeune garçon fantôme venu les trouver au début ! (Oui, le scénario de base en fait ! Voilà comme faire pour retomber sur ses pieds quand les PJs sont allés trop loin dans votre histoire !). En partant, elles ne voient pas disparaître l’étrange vieillard qui n’était autre que Ngou Gyun, ancien roi dragon chinois installé dans le parc.
Voilà nos aventurières repartant explorer ces sombres caves. Préparées et désormais ouverte au monde de l’étrange, elles s’équipent de porte-bonheur et ingrédients pour faciliter leurs actions (j’autorise à utiliser des effets magiques basiques selon la description qu’elles me font d’une action et de l’utilisation d’ingrédients).
Elles éludent le passage des égouts pour passer par les rues. Elles jouent la discrétion. Cachées dans les immeubles délabrés, elles m’expliquent comment elles useraient d’effets magiques pour rester cachées. Elles peuvent ainsi observer le fameux chantier. Elles y découvrent qu’il semble se faire sans réelle sécurité, par des ouvriers peu équipés et par un entrepreneur peu scrupuleux. Les engins démolissent derrière de très hautes barrières et personne ne va s’assurer qu’il n’y ait pas quelqu’un dans les immeubles ou les caves ainsi démolies. Le manque d’équipement de protection et les paiements en sous mains confirment que des réseaux criminels sont derrière cette opération de rénovation urbaine.
Elles profitent d’une pause pour descendre dans les caves éboulées. Elles misent tout sur la discrétion et la dissimulation : l’expérience du combat précédent les a plutôt convaincu qu’il valait mieux l’éviter. Elles finissent par trouver le fin mot de l’histoire : une cave effondrée avec la dépouille de ce jeune garçon piégé par les travaux sauvages dans son sommeil.
Je place un rapide paragraphe sur la question des « limites personnelles » dans la partie. Les joueuses de cette partie pratiquent le jeu de rôle depuis 3 ans avec moi. Nous avons expérimenté plusieurs univers et j’ai pu assister à des parties dans lesquelles elles faisaient jouer leurs propres scénarios. Je connais leurs limites par rapport à la violence de certaines scènes, d’où le choix pour moi de ce scénario et la présence de cette innocente victime. Avec un autre public, j’aurais utilisé des avertissements avant la partie sur les thèmes abordés.
La scène finale se dessine. Enquêtant sur les pratiques funéraires de la région d’origine de ce jeune garçon, elles décident de pratiquer elles-mêmes l’inhumation, se considérant comme les « dernières amies » du fantôme. Un test d’érudition et d’art permettent à Charlène et Lise de présider le rituel et effectuer les gestes. A l’extérieur, la Louzing n’est pas prêt à lâcher sa prise : il envoie ses sbires pour gêner les jeunes filles. Cependant, Lou, Salomée et Jade ont prévu cette intrusion et reçoivent avec énergie les assaillants. Ce combat final est assez bien géré : elles ne cherchent pas à gagner mais à donner du temps pour permettre aux autres de faire le rituel. Cependant, Salomée tombe KO deux tours avant la fin malgré l’utilisation de Cinabre Interne pour mieux encaisser les coups. Le succès impressionnant de Lise sur son test d’exorcisme détermine le nombre de tour à tenir avant fin du rituel. L’âme du jeune homme est apaisé et le combat s’interrompt lorsqu’un groupe de « fat si », armé et paré, arrive pour intimer au Louzing que la partie est perdue.
Le scénario s’achève ainsi sur ce final, le fantôme disparaissant dans la brume et un des « fat si » donnant aux filles un disque de jade pour signifier qu’elles seront protégées pour la durée de leur séjour.
BON, ON DEBRIEFE ?
Voilà pour l’histoire. Que dire comme retour d’expérience ? Laissons la parole aux joueuses pour commencer.
LOU : « L’univers est original même si j’ai eu du mal à comprendre ce qu’on pouvait faire. J’ai vraiment eu peur quand on a joué la bagarre, je me suis dit qu’en fait, les méchants étaient vraiment fort. Les règles ne m’ont pas paru trop compliquée comme on les a jouées mais j’ai vu sur la fiche qu’il y a encore plein de choses à lire et écrire. Après, moi j’aime bien explorer des lieux différents et là, on a passé la moitié du scénario à explorer des caves et des égouts. C’était bien la peine d’aller à Hong Kong pour ça… »
JADE : « Alors, j’ai bien aimé discuter avec les autres personnages mais j’avais l’impression que je ne pouvais pas les convaincre. En fait, c’était parce que moi-même je n’avais pas bien compris ce qu’on voulait faire ! Je croyais qu’on avait banni le fantôme au début et que là, on faisait du tourisme. La fin était plus sympa et j’ai bien aimé le vieil aveugle aux échecs. Le système de règle ? En fait, je n’ai utilisé que deux compétences, alors ça allait. »
SALOMEE : « C’était marrant ! J’ai l’impression qu’on a fait n’importe quoi et que vous n’avez pas osé nous tuer ou nous faire manger par le Docteur Octopuss (surnom donné au Louzing par les joueuses). Pour les règles, je n’ai fait que mettre des coups et me faire assommer par les méchants, alors… »
CHARLENE : « J’ai été en difficulté parce que, on allait beaucoup trop vite pour prendre les décisions et courir partout ! On n’a pas pris le temps de réfléchir et éviter de faire des bêtises comme avec l’histoire du drap ou les méchants dans l’immeuble. Dans ma vie, et comme là je jouais une version de moi, je prends le temps de peser les choses avant d’agir. Ça m’a mise en colère quand elles ont voulu se battre alors que je savais que c’était une mauvaise idée. A la fin, elles m’ont écouté. Le système de règle est sympathique : j’ai adoré les aspects et les traits de caractère liés. Et puis, on l’a joué tellement comme on est vraiment dans la vie ! »
LISE : « Pour les règles, j’avoue que je n’ai pas tout compris. J’ai suivi l’aventure et j’ai essayé de réparer les bêtises quand on s’est retrouvé coincé. C’était triste l’histoire de ce garçon et j’aime bien qu’on ait fini par aider son âme après avoir fait n’importe quoi. Mais, sinon, vous êtes sûr pour le bonze ? Depuis le début, il n’était pas net pour moi… Il était de mèche avec les méchants ? »
« Après, moi j’aime bien explorer des lieux différents et là, on a passé la moitié du scénario à explorer des caves et des égouts. C’était bien la peine d’aller à Hong Kong pour ça… »
MON RETOUR : Chroniques de l’Etrange Hong Kong est un jeu exigeant dans les règles comme dans la mise en scène de l’univers mystique autour des PJs. En faisant le choix d’une découverte progressive de monde magique, j’ai pu me concentrer plus facilement sur le fait de faire vivre l’histoire aux joueuses.
J’ai été surpris de la violence du combat et de la facilité avec laquelle les « combattantes » du groupe se sont retrouvées en difficulté. La magie et les pouvoirs des « fat si » sont vraiment nécessaires pour les parties « normales ». Enfin, sur le plan narratif, je me suis heurté à l’écueil lorsqu’on fait jouer à des joueurs des avatars d’eux-mêmes : elles se sont vraiment senties comme des copines en vacances et ont vécu le début de la partie comme une sorte de visite dans un parc d’attraction, d’où les imprudences lors des bagarres. Plus précisément, la gestion simplifiée des règles a été bien choisie (aspect, compétences, loksyu). Je suis persuadé que les dés fastes/néfastes auraient achevé de les perdre. Ce sont des joueuses volontaires mais elles ne recherchent pas des systèmes complexes : juste le plaisir de vivre une histoire.
Au final, l’expérience fut très enrichissante pour elles comme pour moi.
Chroniques de l’Etrange Hong Kong est un bon jeu de rôle, dépaysant dans l’univers comme dans les règles. Son système tiré du taoïsme permet de créer des personnages vraiment « vivants », avec leurs défauts, leurs caractères, leurs qualités, leurs magies. Cela se ressent dans la façon de jouer : vous y êtes plus qu’une feuille de personnage avec des descripteurs et des mots clés. Je ne le recommande pas pour un non initié au jeu de rôle, cependant, j’incite les habitués à se laisser tenter. Un kit de découverte est disponible sur le site de l’éditeur, vous n’avez plus aucune excuse.
Merci à Antre Monde Editions pour leur collaboration et surtout, aux pratiquantes du Club de Jeu de Rôle d’avoir ainsi acceptée de mettre leurs avatars en danger.
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