Ebloui par la NUIT

« NUIT ». C’est le titre du dernier jeu de Guillaume Jentey. Ce jeu vendu sous format audio propose une expérience originale, peut-être unique, puisque qu’il invite à oublier le sens de la vue pour se focaliser sur les autres. Je l’ai testé avec trois joueurs et en ai discuté avec Guillaume de vive voix lors de l’un de ses passages tout près de chez moi.

 

Quel est l’univers de NUIT ?

 

On peut imaginer l’univers de ce jeu comme un futur post-apocalyptique, sauf que l’apocalypse en question est différente de tout ce à quoi les JdR post-apo nous ont habitués.

En effet, la manifestation de l’apocalypse est ici la disparition de toute lumière. La lumière n’est plus. Seule règle l’obscurité la plus totale.

Dès lors, l’univers peut bien être celui que vous voudrez imaginer. L’ambiance aussi peut varier. C’est là un point fort de ce jeu de Guillaume Jentey de pouvoir correspondre à peu près à tout ce que vous voudrez bien y mettre, avec une constante impérative : la lumière n’existe plus.

Pour ma table, les joueurs ont choisi que leurs aventures se tiendraient dans un monde low fantasy « un peu effrayant mais pas trop quand même », avec des créatures dangereuses et des peuples belliqueux.

La conséquence immédiate de l’absence de lumière, est que vous allez jouer à ce jeu dans le noir total, ou les yeux bandés si cela vous sied mieux, mais surtout en veillant à ce que chacune de vos descriptions exclue tout aspect visuel.

L’exercice est des plus intéressant. J’ai personnellement tendance à fortement insister sur des détails physiques de PNJ ou créatures, de lieux, d’objets. Là, il faut inverser ce paradigme et se focaliser sur l’odeur qui émane de ma créature que dont vous entendez les pas lourds derrière vous ; sur la froideur humide et la rugosité de cette pierre sur laquelle vos doigts cherchent un relief cachant peut-être un mécanisme d’ouverture ; sur l’intonation aigüe trahissant l’inquiétude de l’homme qui face à vous tiens pourtant un discours autoritaire…

 

Qui incarne-t-on dans NUIT ?

 

Le monde étant privé de lumière et de vue, ce sont ceux qui autrefois étaient considérés comme handicapés car privés de ce sens qui sont désormais les guides d’un peuple humain perdu et effrayé.

Ce sont ces guides que vous incarnerez.

Pas de stats, pas de fiches PJ, inutiles dans ce jeu.

Vous pouvez donc y être qui vous voulez parmi ces guides sur lesquels le salut de l’humanité repose.

 

Comment sont résolues les actions ?

 

Pas de lumière, pas de vue, pas de lancers de dés ni tirage de cartes ou autres du même acabit.

Ici, pour savoir si votre action vous conduit à la gloire ou à la catastrophe, vous allez jouer à « devine dans quelle main » avec votre MJ.

Chaque joueur à en effet un certains nombre de jetons (pas trop gros, c’est mon conseil). Lorsqu’il décrit au MJ ce qu’il souhaite accomplir, il cache un jeton dans l’une de ses mains et les tend en direction du MJ qui, dans le noir complet lui aussi, devra trouver ce jeton en désignant une main.

Si le MJ trouve, il décrit les malheurs du PJ. S’il ne trouve pas, c’est le PJ qui décrit son moment d’héroïsme et de gloire.

Un bol au milieu de la table contient lui aussi un certain nombre de jetons qui va augmenter ou réduire en fonction des échecs et réussites des PJ.

Guillaume a introduit quelques finesses permettant l’entraide, la récupération, le décompte de ces jetons qui servent également de jauge pour la capacité à agir du PJ.

Mais je ne veux pas ici divulgacher ce système plus que nécessaire.

Il se trouve que le fait de devoir se chercher, se toucher dans le noir, apporte aussi à l’ambiance de ce jeu. Donc un très bon point pour la corrélation entre univers et système.

 

Comment est construit un scénario de NUIT ?

 

On devine aisément qu’il est ici proscrit pour le MJ de se référer à un livre de règle ou un scénario écrit avec plans, battlemaps, etc.

Tout sera donc improvisé. Ce qui n’empêche pas le MJ de préparer s’il le souhaite et retenir une amorce de scénario, mais vraiment, pour profiter de l’expérience de NUIT, mieux vaut se laisser porter.

Et l’on touche là à un point important : on a souvent tendance à croire que pour trouver l’inspiration, il faudrait s’isoler de tout, se plonger dans un cocon de silence et de calme. Eh bien Guillaume et moi sommes d’accord sur l’exacte inverse. Tous les sons, toutes les odeurs, les courants d’air, … toutes les informations sensorielles que vous percevrez IRL sont une véritable manne pour l’improvisation !

Pour le reste, vous avez l’habitude de pratiquer le JdR, de lire des romans, de regarder des films ? Vous avez donc un minimum d’idée de la façon dont est construit un scénario, dont il monte en tension jusqu’au climax pour redescendre ensuite au dénouement, parsemé d’intrigues, d’adversités, d’événements, avec un antagonisme, un but, un défi à relever, …

 

Pourquoi ce jeu ?

 

L’idée trottait dans la tête de Guillaume depuis un bon moment. Un JdR audio et privé de la vue pour une immersion intense et une expérience sensorielle originale.

L’intention de Guillaume n’était pas de faire un jeu « pour les aveugles », et s’il ce jeu s’avère adapté pour ce public, tant mieux, mais il ne leur est pas exclusivement réservé, bien au contraire.

« Ce que je voulais – me confiait Guillaume – c’est un jeu auquel voyants et non-voyants puissent jouer ensemble, pas un jeu ‘’adapté pour’’, mais un jeu pour tous ».

Bien entendu, le public non ou mal-entendant se retrouve de fait ne pas pouvoir pratiquer ce jeu, et c’est un cas de conscience pour Guillaume, mais comme il en convient et comme je l’expliquais dans l’un de mes précédents articles, adapter le JdR pour le rendre universellement accessible, revient à faire à la quadrature du cercle.

NUIT n’en reste pas moins un jeu à découvrir et expérimenter pour en percevoir les richesses. C’est ce que j’ai fait avec un petit groupe de trois jeunes joueurs (15 à 18 ans).

 

Un bref résumé de la partie

 

Les trois guides installés dans une communauté au cœur de la forêt découvraient avec effroi que leur réserves d’eau et nourriture avaient été pillées pendant la nuit.

Chacun des guides partit donc en quête de quoi sustenter la communauté. L’une se dirigea vers la caverne qu’elle connaissait non loin et qui selon elle renfermait des réserves de viandes, tandis que les deux autres se rendaient vers un ruisseau et sa source pour rapporter de l’eau fraiche et potable.

La caverne s’avéra fermée et la lourde porte piégée. Lorsqu’elle l’eut enfin ouverte, un grognement tout proche trahit la présence de ce qu’elle reconnut comme un ours.

Pendant ce temps, les deux autres guides arrivèrent près du ruisseau et furent surpris d’y entendre des voix et des personnes se servant à la source. S’ils ne furent pas contre partager cette source, leurs vis-à-vis ne l’entendaient pas de cette oreille et s’ensuit un affrontement qui vit leurs assaillant, beaucoup plus nombreux, vainqueurs.

Le guide aux prises avec l’ours dans la caverne tentait tout ce qu’elle pouvait pour échapper à la colère de l’animal enfermé et affamé dans cette caverne, mais le destin (et les jetons) ne lui sourit pas…

Les deux captifs du clan adverse, bâillonnés, ligotés sur des poteaux profitèrent des effluves d’un grand banquet et de l’interrogatoire de l’homme à la voix grave qui se présentait comme leur chef.

Ils ne parvinrent ni à convaincre ni a s’évader et alors que tout le monde dormait, des créatures en grand nombre vinrent leur déchiqueter les mollets. A force de cris, ils réveillèrent le clan qui les tenait captifs, mais trop tard pour l’un d’eux que les créatures avaient déjà en partie dévoré.

Quant à la guide dans la caverne, elle servit de repas à l’ours.

Le seul rescapé fût réduit en esclavage par ce clan guerrier et ne revit plus jamais sa communauté qui, sans doute, attendit longtemps ses trois guides sans eau ni nourriture avant de succomber elle-aussi.

 

Qu’en dises mes joueurs ?

 

Sur trois personnages, un seul a survécu, mais sans parvenir à atteindre leur but qui était de rapporter eau et nourriture à leur communauté. Et pourtant ils en redemandent !

Après une petite heure de jeu, mes joueurs sont sortis lessivés mais ravis, et moi de même.  C’est particulièrement immersif de devoir ainsi mettre sa vue et les aspects visuels de côté pour se concentrer sur tout le reste qui habituellement passe trop souvent à l’as.

L’une de mes joueuses a résumé la chose avec ces mots simples à elle : « C’est mieux de ne pas voir pour reposer son cerveau et pouvoir mieux se concentrer ».

 

Quelques conseils pour profiter au mieux de ce jeu.

 

Il est assez aisé, dans le noir, et à tâtons de trouver dans quelle main se cache un « jeton » si vous ne prêtez pas garde à les choisir assez petits. C’est l’erreur que nous avons fait mes joueurs et moi lors de ce test : nous avons pris des d6 de taille standard. Prenez plutôt de petits token de verre, de petits jetons de jeu de puce, ou autre.

Mes joueurs n’avaient aucune chance de l’emporter car je trouvais le d6 chaque fois.

Ne prévoyez pas un temps de jeu trop long car l’immersion est intense vous risqueriez de perdre en attention pour raison de fatigue.

Comme dit plus haut, ne vous isolez pas, nourrissez le récit et l’intrigue de tout ce que vos sens autres que la vue, vous donnerons à percevoir IRL.

 

En résumé

Expérience très originale, immersion intense, règles simples, univers adaptable.

Guillaume Jentey propose là un jeu qui vaut que vous alliez y voir… pardon y écouter, humer, goûter et toucher de plus près.

 

    https://guillaumejentey.itch.io/nuit

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Écrit par Yaakab

Auteur de la Chronique JDR et Handicap

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