Épisode 3 : Les yeux rouges

Clic… la première dégaine vient de sauter. Clic la deuxième. La chute continue. Les dégaines sautent l’une après l’autre pendant que mon corps, impuissant, subit l’implacable loi de la gravité. Tout mon système d’assurage se délite, se morcèle, se craquèle au moment où j’entreprends ce faux mouvement. J’attrape la prise, je tremble, je glisse, je chute. Je ne suis plus qu’un bout de viande qui s’apprête à nourrir ce gouffre béant. Dans la pénombre la plus opaque je percute le sol. Autour de moi des nuées de poussières lumineuses. Puis le noir.

 

TW : Allégorie du suicide et violences psychiatriques

NB : Les évènements relatés ont eu lieu avant novembre 2021. Ce détail a son importance.

 

 

Be the Batman (or not)

 

 « Pourquoi tombons-nous Bruce ? C’est pour mieux apprendre à nous relever » Wooo qui a autorisé le papa Wayne venir sur mon article faire des phrases de milliardaire. Il n’a aucune idée de la notion même de chute. Je veux bien me retrouver dans une grotte, me relevant lentement, mon torse saillant et musclé, entouré d’un nuage de chauve-souris et d’une bande son de Hans Zimmer.  Je regarde la douche de lumière au-dessus de ma tête  avec un air sombre et une voix off ultra badass dit « You need to be your fear ». Ouai ben c’est pas si simple.

Éclaté en miette sur un sol inconnu dans un noir total, ma situation semble pour le moins critique. Je tâtonne la paroi qui est visiblement trop lisse pour trouver une aspérité à laquelle m’accrocher. Dépité je me rassoie. J’allume mes pensées, mon imagination. Au début des grésillements. Des petits flashs. Des bruits qui résonnent au loin. Puis s’approche une forme ou plutôt deux. Ces formes roulent, roulent et s’arrêtent… 99 ! échec critique !

 

Je relance les dés encore et encore et toujours le même résultat, 99. échec critique. Je hurle. La souffrance monte et ne désemplie pas.

 

 

 

 

Imagination perdue d’avance

 

Je veux créer, inventer cette corde qui puisse me faire remonter. Je veux sortir de ce trou. Mais les idées apparaissent et s’envolent.

Ce sont tantôt des visages qui affrontent leurs démons dans la boue de la Sommes. Ou bien une soirée disco où le sang s’écoule sous les paillettes. A moins que ce soit une ombre dans un brouillard épais. Mais que de ce match de baseball englouti par un tsunami. Ou encore de cette découverte d’une matière hautement radioactive dans une grotte du Vercors par des enfants. Il y a aussi ces yeux qui dévorent le foie d’un cerf. Alors que une femme est perdue au milieu d’un océan trop profond, trop immense. Pour qu’au final cette odeur d’ananas tourne à l’odeur de putréfaction.

Tout est confus. Je me jette sur les pages blanches pour les noircirent de ces tâches et d’incohérences. Je noircie les pages pour espérer voir apparaître le visage d’un scénario qui me sortirait d’ici. A la place ce ne sont que des mots. Et avec ces mots je ne peux rien en faire. Je ne peux rien en faire. Je ne peux rien en faire.

 

 

Cauchemar paranoïaque

 

Je griffe à me faire saigner les doigts sur la paroi rocailleuse. Ma bête se réveille toutes les minutes. Je vocifère des sons maladroits. Je cherche dans la pénombre la plus totale ce minuscule espoir pour ne pas devenir à jamais, ma bête.

Puis je me remets à écrire, à chercher l’idée géniale, la combinaison parfaite pour sortir enfin un scénario potable. Ce scénario ma santé en dépend. Sans lui je reste dans le trou.

Oh vous entendez ? Vous entendez ces voix. Elles ricochent en échos.  » Hum oui mais là j’ai pas le temps pour ça. « ,  « J’aime pas la science-fiction ». ,  » Tu sais l’horreur ça me branche pas trop »  » En ce moment c’est difficile de me libérer deux heures pour une partie. »,  » C’est sympa ton idée, c’est sympa mais bon.  »  Mais ce n’est rien comparé au silence. Le silence qui répond à mes textes qui invitent mes copain.ine.s.

Est-ce que ces voix sont réelles, est-ce qu’elles ne sont pas la construction de mon esprit en déroute et agressif. Ce sont les voix qui comble le silence. Elles ne sont réelles que dans ma tête.

Le jeu de rôle est la corde que je noue à mon harnais pour ne pas tomber. Mais je viens de la couper, je reste au fond du trou. Dans cette situation absolument désespérée, la paranoïa s’infiltre dans mes poumons. Elle crache des accusations à tord. Elle juge, elle accable sur du vent, cherchant des responsables imaginaires. Elle essaye de voiler ma souffrance.

 

Pourquoi j’ai la sensation de saouler tout le monde avec mon jeu de rôle? Pourquoi je fais de ce loisir une obsession dont ma vie en dépend ?

 

 

Triste irréalité

 

Peut-être parce que mes créations sont nulles. Ou alors que je suis un très mauvais meneur. Tout simplement je suis inintéressant et aucune originalité. Je juste suis une putain de bête qui fait peur à tout le monde. Une chose immonde qui n’évoque que peur ou dégoût.

Ainsi ce qui a été une respiration, un moment de plaisir qui apaise ma vie en montagnes russes devient un cauchemar de plus. L’émancipation créatrices et le partage d’un jeu collectif se transforment en un combat personnel pour satisfaire des angoisses voraces. Tout ce que j’imagine n’a pas de sens. Tout ce que j’essaye de créer s’enflamme pour n’être que cendres.

J’extrais de mon esprit en totale détresse un flingue. Je le pose sur ma tempe. Je veux mettre fin à cet ouragan de persécutions permanentes. J’appuie sur la gâchette six fois. Bang, bang, bang,bang,bang,bang…

Entendre la déflagration, la destruction de ce que je suis m’apaise. Arrêter une bonne fois pour toute ces délires qui empoisonnent.

 

Monstramorphose

 

J’ouvre les yeux. Ils sont rouges. Mon corps se métamorphose en ce qui pourrait s’apparenter à un loup. Des griffent poussent à la place de mes doigts. Je les plante sur la roche. La douleur est semblable à un ulcère. Je commence l’ascension. Chaque fois que je me hisse de quelques centimètres ma rage augmente. Plus je monte plus je laisse la haine m’envahir. Mon chemin vertical est dénué de toute raison. Tout ce qui a pu s’apparenter à un remord ou une peur n’existe plus. 

 

« Tu as de la colère mais tu ne t’en sers pas. » Aujourd’hui si.

 

La lumière m’agresse mais j’apporte avec moi l’ombre d’un chaos indistinct pour la voiler. J’atteins enfin le sol humide et moelleux d’une forêt. Je me mets à courir à travers les arbres qui pourrissent à mon passage. Des dés apparaissent. Ils ne font que des 99 – échec critique, 99 – échec critique. Ils popent par centaines, par milliers et infectent le sol pour jubiler de leur pouvoir de nuisance.

Encore une fois je me lance dans une aventure que je suis incapable de gagner. De nouveau je n’arrive pas à m’épanouir sans tomber dans un trou d’angoisses. De nouveau l’envie de reconnaissance prend le pas mêlé à la sensation de n’être qu’un intrus.

Les yeux rouges me jette sur tous mes souvenirs de plaisir lié au JDR. Je déchiquette avec mes crocs tous mes scénarios, toutes mes créations. J’insulte mes enthousiasmes de découverte de ce loisir. Je dévore mon sourire niais de passer un bon moment. Les yeux rouges anéantissent et décapitent les derniers espoirs de persévérer dans le jeu de rôle…

Terrassé par la fatigue d’une colère trop grande je m’étale piteusement et je m’évanouis.

 

 

 

Et pourtant

 

Dans le néant j’entends une voix au loin, non plusieurs. Je ne les reconnais pas. Elles me sont inconnues mais elles ont ce je ne sais quoi de lumineux.

J’entends :

 

« Le jeu de rôle c’est avant tout un loisir collectif et un loisir de partage. Même après trente ans de JDR tu apprends des choses car l’improbable et la créativité se trouve chez l’autre » (Orion)

 

« Apprenons à changer notre culture, apprenons à changer les mots qu’on utilise quand on parle des autres car arrêtons de dire ce que le JDR ne fait pas. Mais disons plutôt ce qu’il fait. Commençons à se dire Ok j’entends, tu aimes ce truc là c’est très cool. Et bien moi je n’aime pas ce truc là et je fais plutôt autre chose et voila point final on s’en fiche » (Linou)

« Il ne faut pas hésiter à être exigeant.e » (Linou)

 

« Avec le JDR tu peux avoir des mauvaises expériences. Mais quand tu rencontres des personnes avec lesquelles tu peux échanger et construire des parties qui laisse un souvenir. Tu peux voir la magie du jeu de rôle. » (Henry the Drawf King)

 

« T’inquiète on commence toujours un jour » Matt (les jeudi d’outre manche)

 

J’ouvre les yeux, ils ne sont plus rouges…

 

 

Sources citations

Orion : https://linktr.ee/OrionRPG

Linou : https://linktr.ee/LinouMajorZero

Henry The Drawf King : https://twitter.com/Henry__Style

Les jeudi d’outre-manche : https://www.jeudisdoutremanche.com/

 

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Écrit par Champitom

Champitom, team un ans après la chute de l’URSS, mi champignon mi humain qui rêve de devenir trop de choses en même temps.

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