Cela fait un moment que je me pose cette question. J’ai rencontré bon nombre de personnes queer et rôliste pour qui l’identité queer passe aussi par le jeu de rôle. Pour moi, je sais déjà comment cela implique ma pratique de rôliste : normaliser la présence de personnes non hétéronormées ou non cisgenre est un de mes cheval de bataille. Sans écrire des jeux qui vont volontairement explorer l’identité de genre ou l’orientation sexuelle des personnages, je m’évertue à les faire exister pour militer sur nos droits à la différence dans une société qui me semble reculer. Mais les autres personnes concernées, qu’en penses-t-elles ? Je suis partie à leur rencontre et vous livre ici une partie de leurs témoignages.
Qu’est ce qu’une personne Queer ? C’est une personne dont l’orientation sexuelle ou l’identité de genre ne correspond pas aux modèles dominants.
Témoignages croisés : qu'est ce que t'apporte le JDR en tant que personne Queer ?
Celleux à pour qui la rencontre des deux est importante ou a été révélatrice :
K : «je suis non binaire et principalement MJ.Donc je peins mes parties et mes écrits avec les questions sociales et politiques qui me traversent. Ça me soulage et j’aime pouvoir faire vivre ça à des gens ouverts qui sont parfois loin de ces questions. Elles sont déjà présentes dans les univers d’ailleurs : les questions sociales, politiques, queer sont intrinsèques aux univers punk et désormais présents dans le fantastique et la sf également. Sur Nephilim, j’ai écrit en écriture incisive avec cette idée en tête pour les Onirims. Sur Shadowrun France, mon narrateur est non-binaire et fait quelques références kinky également. Ça fait du bien de pouvoir partager ces angles de vues, ces angles morts. De la documenter autrement que dans de la littérature scientifique ou dans des romans queer au lectorat déjà convaincu.
J’essaie de proposer aussi des settings positifs, des voies, des possibles qui permettent de se projeter, de s’autoriser en tant que personne queer. Donc de présenter des personnages positifs, ou des communautés fonctionnelles (un peu dans la logique du solarpunk). »
DA : «En tant que joueur.euse, tous mes personnages sont queers, d’une façon ou d’une autre (ace, lesbienne, pan, bi…). Selon l’âge et la fonction du personnage que je joue, ce que cela va m’apporter va varier. Bien souvent, je joue soit la personne que j’aurais aimé être avant que mon identité queer ne devienne qu’un autre aspect normal de mon identité, soit la personne à qui j’aurais aimé parler à ce moment-là. Mais parfois, je joue simplement un personnage « pour le fun », pour pouvoir m’amuser et m’exprimer sans les craintes et injonctions habituelles (mais toujours dans le respect des personnes autour de la table et de leur propre plaisir de jeu bien entendu).
En tant que MJ, outre le plaisir fanfic/ship à décider lesquels de mes PNJs sortent ensemble, la plupart des univers que je maîtrise permettent aux joueur.euse.s de s’exprimer pleinement. J’essaye, autant que possible, de leur offrir un espace d’expression et d’exploration qu’iels n’ont peut-être pas dans leur vie quotidienne. Cela me permet également de jouer une galerie de personnages plus ou moins haut en couleur, et en quelque sorte « d’essayer » différentes personnalités. Cela m’a permis de me comprendre un peu mieux, et m’a aidé à déterminer quel type de personne je souhaitais être. »
G : «Je joue au Jdr depuis que j ai 9 ans, et j ai découvert mon homosexualité à 12 ans, le JDR a beaucoup contribuer à cette découverte. »
L : «La sensation de pouvoir être un peu plus moi dans l’incarnation des personnages, ou en tous cas de me permettre plus de choses. D’ailleurs cela rejoint mon expérience d’etre une femme à une table, indépendamment d’etre queer. J’ai une plus grande liberté et je peux plus être à la fois « moi » et ce que je veux sur les tables inclusives. Personnellement, j’aime pouvoir tomber amoureuse d’une autre femme ou a l’inverse être aromantique, sans que ce soit jugé. Je trouve que -sur les bonnes tables- on peut s’exprimer sans crainte, contrairement à la vraie vie. Et en ça le JDR me fait beaucoup de bien. »
DR : « En tant que garçon queer, les story games, jeux sans MJ et autres OVNI du JDR me permettent de créer une bulle où les règles du jeu prennent le pas sur la norme sociale et ses hiérarchies. Pas tant comme alibi que comme égalisateur. Autant du fait des règles (souvent collaboratives) que du public qui fréquente ce genre de jeu. Les thèmes des jeux que j’explore sont queer, décoloniaux, etc. . Pour le garçon queer identifié comme geek que j’étais ado il y avait surtout un cadre social accueillant et stimulant pour les personnes pas à l’aise dans la société majoritaire. »
LV: «Quand j’étais enfant j’adorais faire des jeux, mes parents en avaient fait un rituel et nous jouions ensemble : j’étais un animal ou un enfant différent chaque matin. Le jour où j’ai découvert le jeu de rôle est définitivement le plus beau jour de ma vie. Ce que cet art, ce moyen d’expression, ce loisir m’a apporté, en plus d’ami-e-s pour la vie, c’est l’assurance que je pouvais être qui je le souhaitais et, surtout, qui j’étais réellement, de façon juste et authentique envers moi-même. Le jeu de rôle m’a permis d’expérimenter avec mon identité, de tester sa porosité et ses limites, d’apprendre à mieux me connaître, de développer ma curiosité, d’aiguiser ma personnalité, de travailler sur mes peurs et ma confiance en moi, et cela en sécurité. »
MMP : «Le JDR permet en priorité de s’évader, en l’espace de quelques heures on oublie nos problèmes et nos responsabilités. On s’amuse avec nos proches / amis et on devient une autre personne. On peut incarner n’importe quel genre ou même espèce. On peut agir et même aimer des personnes sans craintes de jugement ou représailles. Le JDR m’a également aussi permis de mieux m’exprimer, d’avoir plus d’aisance, mais c’est aussi un bon entraînement à la réflexion, la coopération et le dialogue. »
Celleux à qui jouer n’apporte rien en tant que queer :
MJTD : «Ca ne m’apporte rien de plus qu’ à quelqu’un d’autre»
M : «Je suis bi (homme aimant les hommes et les femmes) depuis une vingtaine d’année, et ce que le jdr m’apporte en tant que bi… bah franchement rien de particulier… Quand je joue, je joue. Ma sexualité et ma définition personnelle de ma sexualité n’entre pas en ligne de compte dans la création de mon personnage. Je peux aussi bien jouer des hommes que des femmes, jeunes ou vieux, hétéro normé ou ayant une sexualité autres… Après, la sexualité n’est pas un thème que j’aborde beaucoup lors de mes sessions, que ce soit en tant que joueur ou MJ. Tout simplement parce que ce n’est pas ce que je recherche autour d’une table avec des amis ou des inconnus. »
Finalement, de quoi a-t-on besoin pour jouer au JDR en tant que personne queer ?
L me donne une partie de la réponse : «je suis Queer mais au placard dans certains milieux. J’ai d’abord eu une image négative du JDR sur ce plan là, car je n’ai pas joué dans les bons milieux, beaucoup d’homme cis heteronormatifs, qui avaient beaucoup de lourdeur/sexisme/homophobie plus ou moins consciente. Donc pour moi ce n’était pas du tout un milieu indiqué pour faire vivre la partie queer de moi. Ensuite j’ai découvert d’autre tables, en ligne principalement. Mais des tables qui abordaient la sécurité émotionnelle, les limites etc. Des joueureuses avec plus de diversité aussi.Et c’est comme si un monde s’était ouvert à moi.
En reprenant les différents témoignages dont je n’ai rapporté qu’une partie, je finis par identifier les points importants pour accueillir les personnes LGBTQI+ à nos tables :
- Présence à la table de gens ouverts
- Sentir les volontés d’inclusion, ne pas ressentir de jugement
- De la sécurité émotionnelle pour pouvoir poser ses limites et éviter de réactiver des traumatismes
- Des tables où on évite le sexisme ou la queerphobie
- La présence d’autres joueureuses queer ou alliées
- Le besoin de jouer sur d’autres narratifs que de la souffrance associée à la condition queer
Et bien sûr comme toutes les autres joueureuses on a besoin de : s’amuser et de s’évader des oppressions quotidiennes !
Un jeu de rôle sur le genre financé par des fonds européens.
Depuis septembre a démarré le troisième volet du projet européen G-Book.
Le projet européen G-Book (Gender Identity: Child Readers and Library Collections) vise à promouvoir une littérature pour enfants positive du point de vue des rôles et des modèles de genre. Développé entre juin 2017 et décembre 2018, G-Book est un projet financé par le programme Creative Europe de l’Union européenne. Une dizaine de pays y participer et pour la France c’est l’Université Sorbonne Nord (Paris 13) qui coordonne la partie française avec le fond de littérature jeunesse « livres au trésor ». Les deux premiers volets du projet ont permis l’intervention dans des écoles primaires et au collège et cette année nous démarrons la partie lycée avec comme grand projet de créer un jeu de rôle incluant une réflexion sur le genre avec les lycéens du Lycée Rodin à Paris.
Je m’occuppe de la partie création du jeu rôle avec les lycéens et coordination de la sortie du jeu en Europe. Les ateliers ont commencé en septembre 2025. Parmi le public participant, on y retrouve des membres de l’association AGIS (Alliance Genre Identité et Sexualité) du lycée et des jeunes attirés par le jeu de rôle qui découvrent la thématique du genre et s’y intéressent.
Je suis ravie de porter ce projet parce que ça montre que les luttes contre les oppressions LGBTQ+ et le sexisme prennent de l’ampleur et que l’Europe finance ce type de projet qui me semble d’intérêt public pour normaliser notre existence en tant que personnes queer. J’espère vous en raconter plus et vous diffuser le jeu créé dès 2026 !
En attendant si vous cherchez des jeux de rôle pour explorer le genre et la sexualité, je vous recommande Monsterheart ou Thirsty Sword Lesbians !




