Rencontre avec Dragan et son Fil d’Argent

Le jeu de rôle d’auteur est toujours l’occasion de découverte et d’ouverture au monde. C’est le cas plus encore lorsque le jeu est écrit avec une véritable réflexion, un concept innovant et une cohésion de l’univers. Dragan essaye de réunir toutes ces conditions avec Le Fil d’Argent. Et si on peut trouver quelques similitudes ça et là avec des jeux et univers existants, l’ensemble s’en détache pour donner un jeu original et prometteur.

 

Yaakab : Dragan bonjour, auteur de JdR, tu travailles en ce moment sur Le Fil d’Argent. Mais parlons d’abord de toi : Qui se cache derrière ce pseudo ?

Dragan : Bonjour ! Alors, il n’y a personne de caché car Dragan n’est pas un pseudo mais bel et bien mon prénom. Pour la petite histoire, c’est un prénom d’origine serbe même si je suis né à Paris il y’a fort lointain. Fort lointain s’applique aussi à ma pratique du jeu de rôle. Finalement, mon prénom peu fréquent fait qu’il y’a assez peu de méprise me concernant car je suis peut-être le seul Dragan rôliste de l’hexagone.

 

 

Yaakab : As-tu déjà des JdR à ton actif ?

Dragan : Non, pas vraiment dans le sens où j’ai toujours évolué en dehors des radars rôlistes et que ce que je faisais restait dans un cercle restreint. Le Fil d’Argent est presque mon premier projet sérieux d’écriture. Je dis presque parce que j’avais commencé la mise au propre d’une campagne maison de Trône de Fer. Etant donné que c’est un jdr pour lequel il y’a vraiment très peu de scénario disponible et que ce que j’avais produit avait suffisamment fonctionné pour garder l’attention des joueurs et joueuses durant 5 ans et presque 150 sessions, j’avais démarré la mise au propre de toutes mes notes et intrigues. Malgré des contacts très aimables avec Edge qui m’a renvoyé vers Green Ronin, je suis arrivé à une impasse car bien qu’intéressé, l’éditeur américain m’a expliqué que c’était un sac de noeud terriblement décourageant avec les ayant-droits de la saga (et pas spécialement un problème avec G.R.R.Martin qui a une affection particulière pour le jdr).

 

Yaakab : Le Fil d’Argent, qu’est-ce ? Et pourquoi ce nom ?

Dragan : Si je dois le classifier, je dirais que c’est un jeu de rôle d’exploration historique. Quant-au fil d’argent, il désigne en ésotérique le lien invisible qui unit le corps à la conscience.

 

Yaakab : Dans quel univers nous plonge ce jeu ?

Dragan : Dans un univers bien connu car c’est le nôtre ! Maintenant, bien connu… faut le dire vite. Moi-même, je ne me suis vraiment intéressé à l’histoire que depuis quelques années grâce à des podcasts passionnants comme la chaine Timeline. Je crois qu’il y’a pas mal de rôlistes qui, comme moi il n’y a pas si longtemps, sont davantage connaisseurs du lore d’un univers de fiction (comme Westeros ou La Terre du Milieu par exemple) que de l’histoire de notre monde.

 

 

Yaakab : Quels personnages incarne t on ?

Dragan : On y joue des historiens de l’art, des personnages contemporains évoluant à notre époque. Un historien, c’est avant tout un chercheur. Il se documente, il fait des recoupements à partir de textes anciens. Mais là, grâce à une découverte incroyable, un petit groupe d’historiens va pouvoir aller directement dans le passé au lieu de travailler avec les écrits de leurs prédécesseurs. C’est une chance inespérée pour rencontrer des maitres comme Michel-Ange, Artemisia Gentileschi, Rodin ou Camille Claudel pour n’en citer que quelques-uns et découvrir des vérités qu’on ignore aujourd’hui.

 

Yaakab : Le voyage temporel et le voyage astral réunis par la science au service de l’art… ? Comment t’es venue cette idée ?

Dragan : Très bonne question ! Ça été un long cheminement et ma réponse va être un peu longue ! Il se trouve que j’ai l’habitude de passer beaucoup de temps en préparation car j’ai une relation au temps assez particulière depuis ma lecture de « La Brieveté de la Vie » (de Sénèque, un philosophe stoïcien). Pour le dire autrement, je vis assez mal de dilapider mon temps pour quelque chose qui va capoter. C’est pourquoi je prends régulièrement des avis tiers pour m’assurer que l’idée que j’ai tiens la route ou non pour éviter de voir une campagne tomber à l’eau au bout de quelques séances. Et donc, quand j’avais identifié que je voulais faire jouer dans notre monde car il s’y est passé des tas d’événements pas moins incroyables que dans des univers de fiction, il fallait que je détermine comment.

Comme je ne voulais pas nous cantonner à un seul théâtre de jeu, ça passait obligatoirement par du voyage temporel. Mais – car il y’a un mais – les voyages temporels, ce n’est pas toujours très satisfaisant en terme de cohérence à cause des problèmes de paradoxe temporel qu’ils génèrent. Et donc, je ne voulais pas que ce soit un jeu sur le voyage temporel pas plus que je ne voulais que ce soit un jeu dans lequel on se demande à chaque séance si ce qu’on fait ne va pas modifier irrémédiablement le monde que l’on connait. Je ne vois que des problèmes à ce genre de préoccupations : une partie de la table peut décrocher pendant qu’un joueur ou une joueuse à l’imagination fertile explique en permanence qu’il ne faut pas faire ceci parce que ça pourrait produire cela. Également, cela ferait porter beaucoup de responsabilités au MJ pour déterminer quelles seront vraiment les conséquences des actions des joueurs. Même si j’ai une culture du jdr assez classique, je suis farouchement opposé à un rôle de démiurge pour un MJ. Sans compter que bonjour les noeuds au cerveau entre chaque séance.

La solution à ce problème m’a été apportée par Eve Gallois, une amie rôliste au cerveau toujours en ébullition : l’arrivée des pjs dans le passé génère une réalité miroir, semblable en tout point à la réalité et qui éclate comme une bulle de savon quand ils repartent. Hop, dégagés les trucs capillotractés à base de boucles temporelles, de « quoi que vous fassiez, l’histoire se corrige toute seule » et autres création de dimension parallèle numéro douze mille trente-deux.

Quant-à la projection astrale, c’est la conséquence de s’être inquiété de comment faire le moins fantastique possible mais aussi éviter un running gag où les personnages doivent louvoyer parce que la populace du passé trouve que leurs vêtements sont vraiment bizarres. Dans l’idée que je m’en fais, on peut bien essayer de se grimer en personnage d’un autre siècle, on fera tache à coup sûr en arrivant ainsi déguisé. Je sais qu’on pourrait aussi décider c’est « autopass » et que les déguisements du 21ème siècle font l’affaire mais le souci d’être le moins fantaisiste possible m’importe. Une autre solution aurait pu être la méthode Terminator, à savoir arriver tout nu mais ça aurait pareillement produit un effet comique de répétition. Qui plus est, mes échanges avec Emma Hollen, passionnée d’histoire et de sciences, m’ont permis d’apprendre que la conscience faisait partie des sujets dont on n’avait pas fini de faire le tour. Du coup, faire voyager la conscience était moins TGCM que de faire voyager tous les atomes d’un individu à la fois dans l’espace et le temps.

Reste à répondre à la question « pourquoi l’art ? ». Ma curiosité m’a mené à découvrir une science très controversée et à la limite du genre steampunk, à savoir l’effet Kirlian du nom d’un scientifique russe du siècle dernier, consistant à révéler l’aura des objets selon un procédé photographique particulier. A partir de là, il n’y avait qu’un pas pour considérer que les œuvres d’art dégagent une forte aura, chargée de l’émotion de son auteur et du public qui l’a admiré ou convoité. Si les œuvres d’art pouvaient parler, elles auraient surement beaucoup à dire. Cette idée a conduit à définir les œuvres d’art comme étant l’espèce de portail Stargate pour découvrir l’origine d’une œuvre.

 

Yaakab : Il y a un petit côté Nephilim dans le rapport des personnages à leur hôte il me semble. Inspiration ou pas inspiration de ce grand classique du jdr ?

Dragan : Et bien non. Je ne connaissais pas ce jeu avant qu’on m’en parle récemment. De ce que je sais, les pj y sont des créatures fabuleuses millénaires. Je n’affectionne pas beaucoup les personnages qui sont terriblement au-dessus de la mêlée ou prédestinés à de grandes choses et c’est pour cette raison que je ne me suis jamais intéressé au Monde des Ténèbres ou l’on joue des vampires au milieu des mortels. Je préfère les personnages presque normaux qui, comme dans la thématique du voyage du héros, vont grandir de part ce qu’ils vont traverser. Si Le Fil d’Argent n’a pas d’influence roliste, il en a en provenance d’autre médias. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, je ne connaissais pas non plus la série Code Quantum mais je reconnais volontiers l’influence de la série Sense8. Coté littérature, d’abord « Les Voies d’Anubis » de Tim Powers dans lequel un grand spécialiste d’un poète anglais du passé participe à un retour dans le passé pour pouvoir admirer son idole lors de sa célèbre présence dans une taverne londonienne. Littérature toujours, « Les âmes vagabondes » où des créatures occupent des corps hôtes et voient leur mentalité changer peu à peu. Littérature enfantine enfin avec le « Club des Aventuriers de l’Histoire », des petits livres distribués dans les Happy Meal (et oui, la culture peut apparaitre dans des lieux insoupçonnés) où quatre enfants vont dans le passé pour découvrir les Jeux d’Olympie, vérifier si Charlemagne avait la barbe fleurie, assister Michel-Ange dans sa peinture de la chapelle Sixtine ou encore aider Gustave Eiffel à retrouver ses lunettes pour finir la Tour Eiffel.

 

Yaakab : Comment des enquêtes historiques et artistiques génèrent elles de l’intrigue ?

Dragan : L’intrigue a lieu a plusieurs niveaux. En arrivant dans le passé, les pjs investissent le corps d’un hôte dont il ne savent rien en dehors de ce qui est visible. Qui est-il, comment s’appelle-t-il, pourquoi cet hôte et pas un autre ? Découvrir les motivations de son hôte améliore le recours à certaines compétences. Qui plus est, même si les personnages partent partiellement à l’aveuglette, ils savent quand même quelle œuvre d’art va les happer dans le passé. Si par exemple, il s’agit du tableau de la célèbre Mona Lisa, il est probable qu’ils arrivent à l’époque de Léonard de Vinci et auront certainement à cœur d’élucider un mystère encore irrésolu de nos jours : qui était Mona Lisa ? Une femme, un homme déguisé ?

Dans les faits, les personnages sont appelés par leur employeur qui les prévient qu’une œuvre d’art est en train d’émettre une aura invisible à l’œil nu. Avant de partir, on procède à un conciliabule concernant l’œuvre en question et l’objectif prévisionnel apparait souvent comme une évidence. Dans certains cas, j’introduis une mécanique où les joueurs savent quelle va être l’œuvre d’art impliqué dans le prochain scénario pour qu’ils puissent faire chacun de leur coté 15 à 20 min max de recherche internet. Ça conduit à des scènes de roleplay intéressant où les personnages partagent le fruit de leur recherche. Ça permet également aux joueurs et joueuses de ne pas se sentir totalement ignorant du contexte dans lequel ils vont se rendre.

 

 

Yaakab : Quels scénarios ont déjà été testés ? Quels sont ceux en préparation ?

Dragan : Les contextes suivants ont été joués :

  • La toile de Banksy à moitié détruite aux enchères de Sotheby’s en 2018;
  • Kubrick a-t-il réalisé les images du premier homme sur la Lune ? On parle de la mission Apollo 11 en 1969 ;
  • Les 7 œufs Fabergé disparus depuis la révolution russe. Direction le Palais d’Hiver en 1912, la demeure de Nicolas II (coucou Anastasia Romanoff et un certain charmant père Grigori Raspoutine…) ;
  • L’exposition universelle de Paris 1900. Camille Claudel, Sarah Bernhardt et j’en passe ;
  • Le Transcontinental, 1868, le chantier de voie ferré pour réunir l’est et l’ouest américain, sans lequel les états ne seraient pas unis ;
  • L’imprimerie de Gutenberg, empêtré dans des affaires juridiques ;
  • Le conclave de Valladolid, où des hommes d’église débattent pour déterminer si les « indigènes » d’Amérique du Sud sont des enfants de Dieu ou non ;
  • Fin 1789, pour élucider la disparition d’un trésor conséquent qui aurait peut-être permis à Louis XVI et Marie-Antoinette de connaitre une autre fin.

Les scénarios peuvent se jouer en one-shot, bien que je crois plus intéressant de voir comment les personnages vont être transformés de part ces aventures successives. Dans les 2 tables playtest de campagne, le ratio de jeu passé/présent est environ de 2/3-1/3.

Du coté des prochaines écritures, plusieurs collaborations sont dans les tuyaux avec certain.e.s ex playtesteurs. Un scénario dans le japon médiéval, un sur le continent africain, un à l’ère précolombienne, etc. En prenant notre terre comme décor, on a l’embarras du choix pour d’autres idées.

 

Yaakab : Sur quel système, quels mécanismes principaux repose ce jeu ?

Dragan : J’utilise un système simple emprunté à une des itérations de DD en prenant en compte le degré de compétence d’un pj ce qui peut être schématisé par « garde le meilleur de 2 dés » ou « le moins bon de 2 dés » ou « un dé pur » pour dépasser une difficulté.  L’aspect le plus original du système repose sur une synergie que les personnages contemporains tentent d’accomplir pour accéder aux compétences de leur hôte dont ils ont besoin tôt ou tard. Par exemple, si un pj arrive dans la peau d’un viking, juste avant un raid au milieu de son clan mais que ce pj n’a jamais tenu une hache de sa vie ne serait-ce que pour couper du bois, accéder au talent martial de son hôte serait quand même très utile…

 

Yaakab : Depuis combien de temps bosses-tu sur ce beau projet ?

Dragan : J’ai fait la première séance en mai 2019 mais j’ai vraiment commencé à approfondir et remettre en question le jeu en vue d’une édition future après avoir remporté la catégorie Coup du Cœur du jury du concours de jdr amateur du Salon Fantastique (Paris, octobre 2019).

 

Yaakab : Par rapport à ton idée de départ  y a-t-il eu des changements radicaux, lesquels et pourquoi ?

Dragan : Oui ! Les premiers playtest ont montré que l’occupation d’un hôte généraient beaucoup de questionnements et de réflexion. Après tout, jouer un personnage qui en incarne un autre régulièrement, ce n’est pas rien. C’est quelque chose qui a été approfondi et que m’avait prédit Nicolas Henry, l’auteur de Wulin.

 

Yaakab : Tu as des pistes d’édition pour ce jeu ? Peut-être une date approximative à nous donner ?

Dragan : Le sujet de l’édition est complexe. J’ai une piste sérieuse pour l’édition du kit découverte via une association de passionnés. J’ai encore du game design à reconsidérer suite à des récents feedback ainsi qu’un travail de fond sur la transmission. Etant donné qu’on a généralement qu’une seule chance de faire bonne impression, il faut que la première lecture soit la bonne ! Je pense qu’un kit découverte pourrait être dispo à la fin de l’année 2021.

 

Yaakab : Si on veut participer à des playtests, c’est possible ? Et si oui, comment ?

Dragan : Bien sûr ! J’en suis à une bonne cinquantaine et c’est toujours riche d’informations. J’organise des sessions découvertes auxquelles on peut s’inscrire sur le nouveau site d’Opale Roliste. J’en profite pour dire que les joueuses sont réellement bienvenues : je m’applique à faire jouer des scénarios mixtes pour 2 pjs masculins et 2 pjs féminins.

 

Yaakab : Si on veut suivre le développement de ce JdR, où peut-on le faire ?

Dragan : Une page web est en préparation. En attendant, j’ai une page Facebook facile à trouver : https://www.facebook.com/lefildargentjdr avec actuellement un peu plus de 200 abonnés.

 

Yaakab : Où peut-on te contacter ?

Dragan : On peut me contacter soit par mail à jdrlefildargent@gmail.com soit via la page Facebook du Fil d’Argent.

 

 

Yaakab : Merci à toi.

Dragan : Je te remercie également ! Et surtout, faites du jeu de rôle, c’est bon, mangez-en !

 

Écrit par Yaakab

Auteur de la Chronique JDR et Handicap

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