Voici un article qui va présenter une des (nombreuses) façons dont les rôlistes prendront un jour le contrôle du monde (mais après la nouvelle campagne que mes joueurs me tannent de lancer…). Je m’appelle Sébastien, j’approche des 40 ans. Je suis professeur d’histoire-géographie et EMC en collège et lycée depuis 2008 et rôliste depuis… houlà… j’avais 14 ans lors de mon premier Warhammer…Actuellement, je suis professeur au collège Jean Amade de Céret, une charmante bourgade des Pyrénées-Orientales (66).
Les prémices d’une grande aventure
J’ai commencé ma carrière de prof comme TZR, titulaire sur Zone de Remplacement, j’allais de collège en lycée pour remplacer les collègues absents pour quelques semaines à plusieurs mois.
L’idée d’un club a germé après qu’un groupe de lycéen m’ait démasqué alors que je lisais un livre de règles pendant la surveillance d’épreuve du bac blanc. Ils étaient en classe avec moi, le courant passait bien et ils m’ont demandé, au culot, si je voulais les faire jouer. Je suis allé voir ma direction qui a accepté de nous céder une salle après les épreuves du Bac à condition que je lui explique ce que c’était que ce truc à mauvaise réputation (il avait le souvenir de l’époque Bas les masques). Pour l’anecdote, le proviseur, en écoutant mon projet, m’a dit « mais, le terme jeu de rôle n’est pas approprié à ce que vous faîtes. Pour moi, c’est plutôt une expérience de narration collaborative ». Elégant. J’ai gardé la phrase pour plus tard.
Ainsi, pendant deux semaines de juillet, ces jours où les lycées sont ouverts mais il n’y a plus d’élèves, il y avait une dizaine de rôlistes qui venaient pour une campagne de Chtulhu « historique » de folie de 11h à 17h, 4 jours par semaine. C’était clair pour moi, on pouvait allier Jeux de Rôle (JdR) et Education Nationale.
Naissances des « Dragons d’Amade », le club de JdR du collège
J’ai été muté au collège de Céret en 2017. J’ai laissé passer quelques mois avant de passer à l’attaque. J’ai rédigé un projet expliquant les intérêts pédagogiques du JdR, le déroulement d’une partie et comment j’allais gérer la chose (je pourrais en parler dans un autre article). Banco, ma chef d’établissement a accepté. J’ai une salle, des heures dédiées (11h-14h les mardis) et des élèves. J’ai eu un succès fou dès le début avec des dizaines de collégiens intrigués par le JdR dont ils avaient entendu parlé par des youtubeurs (Joueur du Grenier, Linkthesun, MisterMV, Maghda…).
Actuellement, j’ai 50 inscrits dont environ 25 réguliers. Ils sont partagés en deux groupes et viennent jouer à la table d’un MJ (surtout moi, un à deux élèves se laissant tenter de temps en temps. Je dépends pour le budget du collège : 500€ par an pour le matériel (les FSE sont de structures internes de beaucoup de collège et lycée dont la mission est de financer et promouvoir des activités destinées aux élèves). La crise sanitaire n’a pas baissé l’engouement puisque je suis resté le seul club ouvert en m’adaptant aux protocoles. J’ai la chance d’avoir une collègue professeur documentaliste super efficace et impliquée : elle a su donner aux ouvrages de JdR une place de choix juste à côté des mangas et des BDs (avec une mascotte : une peluche de dragon qui porte un collier d20 baptisée Amadou).
La mise en place du projet MONSTRES !!!
En trois ans, j’ai pas mal creusé mon trou au collège et j’ai le bonheur d’avoir des collègues très ouverts même si le monde du Jeu De Rôle (JdR) est inconnu pour eux. Dés que j’ai vu que Joann Sfar s’associait à Black Book Editions pour le JdR MONSTRES, je tenais mon angle d’attaque. J’ai présenté aux collègues de Lettres et du CDI le projet. Elles connaissaient bien les œuvres de l’auteur. On a discuté et elles se sont montrées intéressés par le fait de lancer un concours de création de Monstres.
Avec mes deux collègues de lettres, on a défini une approche pédagogique : la formulation des consignes, les attendus, les thèmes (mythologique, fantastique…). On a choisi le verso de la fiche de personnage du jeu comme support, on l’a tiré en A3 et proposé ça aux élèves. Le CDI, et encore super merci à ma collègue, a fait un stand exposant des livres, des BDs de Joann Sfar et le contenu de la boîte d’initiation MONSTRES. J’ai fait une opération affichage sur les murs du collège, j’ai envoyé un message à l’ensemble des profs et des élèves via notre messagerie interne pour faire la pub du concours.
D’abord le collège, après, le monde du JdR !!!
En voyant que le concours prenait bien, j’ai publié sur facebook des images du projet en taguant les éditions Black Book et, soyons fou, Joann Sfar. C’était une super idée, un peu au culot, mais il m’a répondu le soir même ! Nous avons pu discuter toute la soirée et il s’est montré plus qu’emballé par le projet.
J’ai demandé à la direction du collège Jean Amade de Céret si je pouvais « réquisitionner » la vitrine qui exposait les coupes gagnées par les équipes sportives. L’équipe de direction a donné son accord : on a eu pendant 2 mois des boîtes de Jeux de Rôle, des BDs, des figurines, des goodies, des dés dans le hall d’entrée du collège, les vitres couvertes de traces de doigts des collégiens.. Black Book Editions a répondu et envoyé des goodies, des jeux complets, des livres. Quelques jours plus tard : surprise ! On recevait au collège des coups de fil des différentes maisons d’éditions de Joann Sfar qui demandaient une adresse postale pour envoyer des lots en tout genre… Le Foyer Socioéducatif du collège m’a accordé un supplément de financement pour acheter de quoi gâter les élèves. Et pour finir, Casus Belli nous a fait un petit article, dans le numéro 36.
Et quand le jeu de rôle devient un outil pédagogique pour les professeurs
Plusieurs collègues intéressés ont fait réaliser des Monstres en classe. Des groupes entiers ont réalisé un Monstre, évalué par le professeur comme un travail scolaire : en Lettres, en Latin, en Espagnol… Chaque prof évaluait selon les compétences qu’il souhaitait. Le concours est devenu un support et une « carotte » pour motiver le travail. Avec les collègues de Lettres, investies à fond, nous avons centralisé les consignes et les attentes pour les proposer à toutes les classes. Nous avons convenu que seuls les élèves souhaitant participer au concours pourraient déposer leur œuvre.
Le principe était le suivant : inventer un monstre, le dessiner, inventer son régime alimentaire, son mode de vie, une histoire (oui, un background quoi…) et expliquer comment il faisait pour vivre sa vie de monstre de nos jours. Nous avons adapté nos attentes aux niveaux des élèves : les 6e n’avaient pas les mêmes exigences que des 3e en termes de contenu, de présentation, de finition. Nous nous sommes aussi adaptés aux profils des collégiens qui participaient. Un élève de Segpa (Section d’Aménagement Général et Professionnel Adapté) et une d’ULIS (Unité Localisée pour l’Inclusion Scolaire, destinée aux élèves en situation de handicap) ont souhaité participer. Le premier avait énormément de difficulté à écrire. Il a passé un temps fou pour réaliser seul son Monstre. L’autre a de lourd problème cognitif, elle a souffert pour créer sa petite créature. Nous les avons récompensés « hors concours » pour leurs efforts.
La monstrueuse conclusion du monstrueux concours MONSTRES AU COLLEGE
Au final, j’ai récupéré 100 MONSTRES et je sais qu’il y en a des dizaines d’autres qui ont été réalisé mais les élèves n’ont pas souhaité les rendre.
Il y en a eu des drôles, des tristes, des décalés… Une grosse part de Monstres étaient des créatures de la mythologie grecque-romaine. En fait, la mythologie est au programme en classe de 6e et mes collègues se sont appropriés le concours pour demander aux élèves une production d’écrit sur ce chapitre : j’ai relu une bonne dizaine de Circé…
Ensuite, les élèves n’ont pas trop compris l’histoire de « Monstres qui cache son statut de Monstres ». Au niveau des histoires, j’ai eu une sacrée cargaison de psychopathe et autre assassin sanguinaire… On a aussi pu remarquer que la case « Taxinomie » posait problème à l’ensemble des participants. Personne ne savait quoi mettre ! On en a discuté avec les profs de Sciences et Vie de la Terre. Ils ont reconnu que la notion n’était plus enseignée telle qu’elle aux collégiens. Tant pis, on l’a laissé de côté finalement.
On a distingué 15 finalistes qui ont été récompensé lors d’une cérémonie. Tous les autres ont reçu des goodies, marque page, poster et autres bricoles.
Bref, une idée d’un biclassé prof/roliste, récupérée par les collègues et emballée par la sphère rôliste via Facebook. C’est, à mon avis, une preuve de plus, que nous devenons un loisir Mainstream. En conclusion, notre presse locale, le journal l’Indépendant, a publié un article. Dans notre province, c’est un peu l’aboutissement de la célébrité : toute la boulangerie me connait maintenant !
ET voici le TOP 4 des Monstres vainqueurs !!!
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