Dis moi comment tu joues …

Poursuivons la réflexion menée dans mon précédent post sur ce blog à propos de l’identité dans le jeu de rôle. Je m’étais attardé sur le PJ, cet avatar dans lequel nous mettons plus ou moins de nous. Il apparaît que, si la façon dont nous pensons et jouons ce personnage n’est pas totalement déconnectée de notre identité propre, l’essentiel n’est pas encore là, mais réside surtout dans la façon dont nous jouons ce personnage…

 

 

Un œil extérieur

Dans ma quête du lien entre construction identitaire et JdR, j’ai échangé librement avec une psychologue clinicienne qui a réorienté ma réflexion sur l’essentiel. A savoir, que c’est plus l’observation des comportements durant la partie qui est source d’information sur le joueur, que les notes et chiffres écrits sur la fiche de personnage.

Elle a noté que mon idée de faire jouer du JdR aux jeunes avec handicap était selon elle excellente, et que cela pouvait s’avérer un formidable outil d’étude et d’analyse. Elle a d’ailleurs manifesté son regret de ne pas pouvoir se libérer sur ce temps pour venir en observatrice.

En effet, et je la rejoins sur ce point, il est du domaine de l’impossible d’animer une partie, et dans le même temps, d’observer et prendre en note les réactions et comportement verbaux et non verbaux. Hors, c’est cela qui serait réellement utile dans un cadre thérapeutique et éducatif.

J’ai donc décidé, chaque fois que cela sera possible à l’avenir, d’avoir avec moi une tierce personne, professionnel éducatif ou de santé, ou stagiaire à la limite, qui puisse jouer ce rôle de regard extérieur, et noter ce qui lui paraît important. Cela doit cependant se faire discrètement pour que les jeunes qui jouent continuent de percevoir en premier lieu l’aspect ludique et ne voient pas cela comme une séance de psychanalyse de groupe.

L’expérience a été menée une première fois avec un groupe nouveau, plus en difficulté que mon groupe habituel, et un jeu dont j’ai déjà eu l’occasion de faire les éloges : Milky Monsters de Guillaume Jentey.

J’ai donc animé cette partie lors de laquelle trois filous et une fée devaient retrouver et récupérer les perles élémentaires perdues du collier de la Reine Titania. Une collègue était chargée d’observer et de prendre note. Le résultat nous a permis de faire un vrai travail de relecture de cette partie.

 

De l’importance du débriefing

C’est là le deuxième point sur lequel ma collègue psychologue clinicienne a attiré mon attention : « Si tu ne prends pas le temps avec eux (les jeunes) de faire une relecture de la partie et de leurs choix, ils ne pourront pas s’en emparer et ne sauront pas quoi en faire ». Et je dois bien avouer, que souvent, faute de temps parce qu’on est plongé dans la partie et qu’on ne voit pas le temps passer, le temps de débriefing passe un peu beaucoup à l’as. Et quand je dis « temps de débriefing », je ne parle pas d’un simple « Alors c’était bien ? Ça vous a plût ? ». Un temps de débriefing bien mené doit se soucier de permettre à chacun d’exprimer ses ressentis face aux différentes situations rencontrées, et de verbaliser le pourquoi et le comment de ses choix et actes durant la partie.

Alors j’ai écouté ma charmante collègue psychologue clinicienne, et, comme évoqué un peu plus haut, avec une autre collègue, j’ai pu faire ce temps de relecture après notre partie de Milky Monsters.

Sincèrement, je ne m’attendais pas à une telle richesse d’information et de réflexion de la part de ce groupe de jeunes. Nous avons pu aborder maints sujets tels que la peur du noir, de ce qui s’y cache, de ce qui existe ou pas, de la mort, de la douleur. Mais nous avons également parlé de solidarité, d’entraide, de complémentarité, de soutien, d’amitié, d’amour, de désir, …

Néanmoins , j’ai pu constater qu’il ne faut pas non plus éterniser ce temps de relecture, au risque de voir les jeunes décrocher complètement et se désintéresser au final de la conversation et du jeu en lui-même, ce qui serait dommageable.

 

JdR : un outil d’analyse ?

Lorsque j’ai exposé à ma collègue psychologue ce que je faisais durant ces parties de JdR, et comment je le faisais avec les jeunes, comment ils participaient pleinement eux aussi de la narration et devaient comme moi s’adapter aux jets de dés pour improviser la suite de l’intrigue, cela lui a fait penser à ce que les thérapeutes appellent « psychodrame de groupe », et elle m’a fortement conseillé d’aller voir par là. Et j’y suis allé.

En quelques mots, le psychodrame de groupe consiste en une narration partagée entre patient sous l’observation participante ou non de professionnels. Le jeu joué par les patients est à mon sens très proche de ce que vous et moi pouvons connaitre dans nos parties lorsque nous faisons du RP. Au final, la seule énorme différence, c’est que nous, nous le faisons sans être observés par un praticien, et que notre approche est essentiellement ludique. Les JdR qui, et cela n’engage que moi, me semblent le plus proche de cette pratique du psychodrame de groupe, sont les JdR de la mouvance « Care », dont l’intention, tout en restant ludique, est tournée vers le souci et le soin de l’autre et de soi.

Donc, à ma question de savoir si le JdR est un outil d’analyse, je serais tenté de répondre que non dans son essence, puisqu’il est d’abord et avant tout là pour nous divertir, mais à mieux y réfléchir, oui, dans sa substance, puisque comme tout jeu, il est un outil d’apprentissage et de socialisation observable. Le jeu, chez l’enfant, et/ou chez l’adolescent est d’ailleurs depuis très longtemps un sujet d’études pléthoriques. Et après tout, le rôliste en nous n’est pas si loin de l’enfant qui y demeure…

Distinguer les usages

Pour mon activité de jeux et JdR avec les jeunes, je vais donc m’adapter pour qu’il demeure un vrai temps de loisir purement ludique pour eux, mais pour qu’il puisse me servir moi dans mon travail éducatif et, j’ose le terme, thérapeutique.

Dans l’idéal, j’aimerais parvenir à former des jeunes à la masterisation, pour qu’ils soient pleinement acteurs et moi simplement observateur, mais un observateur beaucoup plus disponible et attentif que ne peut l’être un MJ.

Pour mes parties hors temps de travail, auxquelles certains de ces mêmes jeunes sont susceptibles de participer, je ne vais conserver que l’aspect ludique. Il me paraît en effet important qu’il existe pour eux un locus d’évasion pure, sorti du cadre relationnel éducateur/jeunes.

Allons plus loin…

Certains jeunes m’ont surpris il y a peu en me relançant avec l’idée de créer leur propre jeu de rôle. Je trouve l’idée excellente. Ce sera de plus pour moi un travail des plus intéressant que d’observer comment ils vont construire ce projet.

A suivre donc.

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Écrit par Yaakab

Auteur de la Chronique JDR et Handicap

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2 commentaires

  1. Bonjour je suis grandement intéressé par votre travail.

    Je suis moi même rôliste et éducateur, j’ai commencé depuis peu à en proposer en IME.

    J’utilise le système dungeon world, que j’ai simplifié à 3 caractéristiques, pour le moment je n’utilise pas de fiche de personnage mais je serais intéressé de voir ce que vous avez créer à ce niveau là : les fiches de personnages et les cartes d’actions.
    Les images n’apparaissent pas sur le site, serait-il possible de les avoir/ voir ?
    Merci pour votre travail,
    Guerric