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Jeu de rôle et orthophonie : un combo gagnant ?

Je vous ai déjà parlé de mon métier de thérapeute et de comment je mélangeais le jeu de rôle et la thérapie pour des résultats vraiment convaincants ? Aujourd’hui je vais vous parler d’un aspect tout particulier de ce que je fais : le jeu de rôle en orthophonie. J’ai commencé à m’y intéresser depuis un petit moment déjà et je vous livre ici la synthèse de trois ans d’ateliers éparses sur le sujet, en collaboration avec un orthophoniste rôliste avec qui j’adore travailler.

Le début du projet

Nous avons utilisé la roue des émotions du jeu pour identifier leur état émotionnel à différents moments du jeu et éventuellement relier plus tard cet état émotionnel à des variations de fluence

Voici maintenant deux ans que je travaille avec Clément Aunis-Oumghar, orthophoniste et chargé d’enseignement en troubles de la fluence à l’université de Picardie Jules Verne. Il m’a contactée pendant le confinement de 2020 via mon site Dragons et Grenadine pour me parler de ses jeunes patients (entre 7 et 12 ans) qui avaient des troubles de la fluence (bégaiements principalement).

Clément est rôliste et comme moi, il est persuadé que le jeu de rôle est un excellent outil thérapeutique. Sa demande était simple : il arrivait à un niveau avec ses patients où il avait utilisé tous les outils d’orthophonie à sa disposition. Même si les progrès des jeunes étaient conséquents, certains stagnaient parce qu’ils avaient des difficultés émotionnelles liées à leurs troubles de la fluence (timidité, peur de parler…).

Nous avons donc commencé à les faire jouer en ligne (avec caméra) à Bulles Junior, le jeu que j’ai écrit comme version enfant de mon petit jeu de rôle sur les émotions « Bulles« . La première partie a eu lieu en 2021, à la fin de leur année scolaire. Le but était de les faire jouer pour voir leurs réactions et surtout l’évolution de leur fluence pendant le jeu de rôle. Nous avons utilisé la roue des émotions du jeu pour identifier leur état émotionnel à différents moments du jeu et éventuellement relier plus tard cet état émotionnel à des variations de fluence.

La partie a rencontré un franc succès : les jeunes ont adoré jouer dans ce monde sous-marin. Le début de partie a été « timide » avec peu de prise de parole mais nous sommes rapidement arrivés sur une fin de partie enjouée où chacun prenait de la place oralement.  Nous avons donc convenu de leur proposer plus de parties pendant l’année scolaire 2021-2022.

Un nouvel outil

Pendant la partie je leur demandais régulièrement « comment vous sentez-vous ? » et ils posaient des pions représentant leur personnage sur l’émotion correspondante.

 

Nous avons donc repris les parties l’année scolaire suivante, en intégrant une variation dans l’outil émotionnel utilisé : nous avons créé un tapis de jeu avec les principales émotions encadrées en couleur. Cet outil était beaucoup plus parlant pour eux qu’une roue des émotions. Il était utilisé de la manière suivante : pendant la partie je leur demandais régulièrement « comment vous sentez-vous ? » et ils posaient des pions représentant leur personnage sur l’émotion correspondante.

Au début, tout le monde se copiait ou presque, puis petit à petit ils se sont mis à s’individualiser pour exprimer leurs ressentis et arrivaient à nous exprimer des mélanges d’émotions ou des émotions plus fines que celles indiquées sur le tapis de jeu. Le travail qui consistait à nommer et accepter ses émotions était en très bonne voie.

Nous remarquions aussi qu’il y avait des moments forts, parfois assez longs où ils étaient tellement pris dans la partie qu’ils s’exprimaient avec beaucoup moins de dysfluences. Le média fonctionnait comme facilitateur d’expression et leur permettait de gagner suffisamment en confiance pour prendre plus d’espace de parole, avec moins de peurs. A chaque fin de partie je veillais lors du débriefing à souligner ces moments et nous les félicitions pour leur faire prendre confiance en leur capacité à parler sans trouble de la fluence.

Dans un second temps nous avons décidé d’un commun accord qu’il était temps de « corser » les scénarios pour leur faire travailler d’autres compétences. Nous avons travaillé lors d’une seconde séance sur la prise de parole en public, le fait d’argumenter, le fait d’accepter leur différence et de combattre l’injustice sur le handicap et d’y trouver des solutions à l’écrit (écriture d’une lettre de doléance à une personne de pouvoir en jeu par exemple).

Cette séance sur le handicap d’un PNJ a été particulièrement cathartique, génératrice d’émotions fortes transformées en pouvoir d’action (débat, argumentations fortes contre l’injustice, propositions de solutions…) récompensé en jeu. 

 

De la pratique à l’étude universitaire

Petit à petit j’ai intégré dans le jeu divers éléments de stress

 

A la fin de l’année scolaire après 3 ou 4 séances, Clément a décidé que le sujet était suffisamment intéressant pour proposer à des étudiantes en orthophonie de s’y intéresser et d’écrire leur mémoire dessus. Nous avons donc entamé l’année scolaire actuelle (2022-2023) avec 2 étudiantes dont une qui enregistrait les séances ou prenaient des « mesures » pour étudier certains des paramètres de la fluence en fonction de ce qui était mis en jeu.

Il a fallu que je cadre les séances pour avoir des paramètres mesurables. J’ai donc proposé de travailler sur les situations de stress, particulièrement problématiques pour les personnes qui ont des difficultés de fluence.

Fin 2022 j’ai réalisé 3 séances avec des niveaux de stress croissants. Petit à petit j’ai intégré dans le jeu divers éléments de stress : le fait de devoir dessiner un plan pour s’orienter au fur et à mesure du jeu, des systèmes de minuteurs avec une quête chronométrée et un échec partiel à la fin du  décompte de temps, la responsabilité d’un PNJ à qui il ne devait rien arriver, la pression sociale ou hiérarchique, la perte d’objets chers…

Nous avons bien sûr gardé notre tapis des émotions, qui nous donne une mesure émotionnelle à un moment T. J’ai rédigé un canevas de débriefing plus formalisé pendant lequel je leur pose toujours les mêmes questions en fin de partie et où je me calibre sur leurs attentes pour les parties suivantes. Les mémoires des étudiantes sont en cours d’écriture grâce à l’encadrement de Clément et de Sanne Stijve (qui a travaillé sur les transmissions de savoir et de compétence grâce au jeu de rôle), j’ai pu en lire une première partie déjà et j’ai hâte de voir quelles conclusions elles obtiennent.

Nous reprenons les séances en mai pour la fin de l’année et je réfléchis actuellement au type de scénario à proposer et aux compétences intéressantes à travailler pour les aider encore plus à améliorer leur gestion de la fluence dans des conditions émotionnellement complexes. 

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Écrit par Sylphelle

Je suis joueuse, MJ/facilitatrice, créatrice de jeux (jdr et GN) et animatrice de clubs jdr pour enfants :). Il y a plus de détails (et des jeux que j'ai fait !) sur mon itch.io ici : https://sylphelle.itch.io/.

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