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Création d’un jeu de rôle pédagogique à partir de Moon Dragar par Sylphelle

Profiter de l’expérience de Sylphelle pour se questionner sur la création d’un jeu de rôle pédagogique

Crédit : Pavel Danilyuk (Pexels)

Grâce à l’expérience de Sylphelle, nous allons voir comment créer un jeu de rôle pédagogique, appliqué dans notre cas à des enfants d’une dizaine d’années (Moon Dragar): de la préparation au retour d’expérience en passant bien sûr par la conception et le test. Une synthèse récapitule les points importants et comment l’appliquer chez vous.

Ce qui nous conduit à nous intéresser à la création d'un jeu de rôle pédagogique

Comme vous le savez l’utilisation du jeu de rôle au-delà du divertissement a de nombreuses vertus (Jeu, simulation et jeu de rôle, Gilles Chamberland et Guy Provost aux Presses de l’Université du Québec 1996, ouvrage initialement de 1957) et vous pouvez le lire régulièrement sur les pages de ce site,  par exemple avec  l’article de Korwen sur recréer des liens entre Adolescents et leurs pairs ou Yaakab et les jeunes en situation de handicap ainsi que ceux de Sylphelle sur l’utilisation en thérapie ou en orthophonie

Nous nous proposons avec Sylphelle et son interview autour de son projet Moon Dragar que vous pouvez vous procurer ici de voir comment dans nos cercles privés nous pouvons faire un levier du jeu de rôle pour faciliter les apprentissages et la pédagogie.

En effet, Moon Dragar est un jeu de rôle pédagogique pour une classe de jeunes de 8 à 11 ans qui permet de travailler les matières scolaires en présence du corps enseignant tout en jouant un magicien ou une magicienne étudiant à l’école de magie.

Nous allons voir comment ce projet est né, a été exécuté, le retour d’expérience pour finir sur les points importants que l’on peut retenir pour les appliquer à notre besoin.

Asseyons-nous pour suivre cette interview avec Sylphelle

Elrik (E): Tout d’abord, pour ceux et celles qui te découvrent Sylphelle, au-delà des interviews que l’on peut retrouver sur ta page web,  que voudrais-tu ajouter ? 

La page web de Sylphelle

 

Sylphelle (S): Je suis biologiste et didacticienne/pédagogue de formation. J’ai exercé la pédagogie au service des sciences dans des associations d’éducation populaire (voir la note en fin d’article) pendant 10 ans puis je me suis formée en thérapie. J’ai toujours fait du soutien scolaire directement ou indirectement dans mes métiers et j’ai toujours utilisé le jeu dans mon métier de pédagogue. J’ai commencé à exercer en 2006 avec un jeu de rôle grandeur nature existant qui permettait de comprendre les enjeux de l’eau (potabilisation, traitement etc…) dans une ville. Avec le temps j’ai commencé à créer des jeux pour les jeunes qui impliquaient de prendre des rôles. Puis je suis devenue en partie thérapeute en 2020 avec le confinement (j’en ai profité pour valider de nouvelles études) et j’ai commencé à réfléchir à l’acquisition de compétences en thérapie par le jeu de rôle sur table. Au final ce sont les mêmes processus en jeu pour faire de la thérapie ou de la pédagogie : on veut développer des savoirs, savoir-faire et savoir être.

 

J’ai recommencé à faire du soutien scolaire spécialisé en 2022 auprès d’enfants neuroatypiques qui avaient aussi de besoin de gérer leur rapport au stress, aux émotions, à l’échec ou qui avaient des difficultés avec leur mémoire de travail. J’ai eu immédiatement l’idée d’utiliser des jeux de rôles pour pleins de raisons évidentes : ce média fait travailler tout ce que j’ai besoin de leur faire travailler et il a la spécificité d’utiliser des zones du cerveau sollicitées dans la créativité, l’art ou la pleine conscience (quand on est en train de vivre pleinement sa partie et qu’on oublie l’environnement autour de nous on est en plein dedans !). Ces zones permettent d’augmenter la capacité d’adaptation, de stimuler les neurones miroirs (notamment à travers le fait de réfléchir à la place de son personnage ou de s’adapter aux autres joueurs et joueuses) et de diminuer le stress. D’une manière générale le jeu est un puissant vecteur d’apprentissage et régulateur des émotions et du circuit de la récompense. Il façonne le cerveau dès le plus jeune âge. C’est exactement ce dont j’ai besoin avec les jeunes qui ont des troubles de l’apprentissage, et notamment les profils neuroatypique (TSA, TDA-H, DYS…) pour lesquels ces circuits de la récompense et des émotions ne fonctionnent pas comme pour tout le monde et ont besoin d’être régulés.

 

Le jeu de rôle me permet d’alterner efficacement les moments de travail formels et les moments de récupération de stress et d’augmentation de la plasticité cérébrale tout en les stimulant avec un média qui leur rappelle les histoires/animés/jeux vidéos qu’ils aiment. J’utilise depuis 2 ans le jdr en soutien scolaire en plus de mes essais thérapeutiques. Je couple le jeu de rôle avec des techniques de pédagogie positive (approche éducative qui se concentre sur les comportements positifs, la bienveillance et l’encouragement). Pour les enfants et ado qui accrochent avec le jdr, les progrès scolaires sont impressionnants : ils gagnent en confiance, en autonomie, ils ont des raisonnements plus complexes, de meilleures stratégies en face d’un problème et une meilleure gestion de l’échec et de manière générale ils gagnent en motivation.

E: C’est une parfaite transition pour nous expliquer comment l’aventure Moon Dragar est née.

S: L’une des maman d’un jeune que je fais jouer depuis 3 ans en club jdr est institutrice. Elle a proposé à son école d’essayer le jeu de rôle pour aider à l’apprentissage scolaire. Le projet a été accepté et c’est comme ça que tout a commencé.

E : Quel a été le cahier des charges avec l’établissement ? 

S: Le voici

  • Le jeu final doit permettre aux jeunes un apprentissage scolaire motivant et ludique.
  • Il est conçu pour jouer des parties d’1h30 et se joue en groupe jusqu’à 15 joueurs et joueuses. Pour gérer ce nombre, les élèves sont regroupés par 2 ou 3 et doivent agir en se concertant (1 action par groupe de 2 ou 3).
  • Les règles du jeu de rôle basée sur un système ludique de dé avec addition de bonus
  • L’univers inclut le thème des potions, sorcellerie et magie afin de faire le lien avec ce sujet traité en classe.
  • Le jeu contient 2 scenarii prêts à l’emploi 
  • Le jeu inclut un mode d’emploi pour créer des scénarii avec tables aléatoires :  d’idées d’obstacles et d’événements 
  • Des questions scolaires sont posées aux élèves pour obtenir des potions qui ajoutent des bonus aux dés (nous reviendrons sur ce point plus loin) et il y a des réglettes plastifiées pour poser les potions (symbolisées par des billes chinoises ou équivalent)
  • Le jeu contient 15 feuilles de personnages co-imaginés avec les élèves
  • Les questions scolaires seront multi niveaux CE2-CM2 et portent à la demande des professeurs sur :
    • numération jusqu’à 10 000,
    • chiffre, nombre et décomposition
    • les fractions simples/complexes
    • de la résolution de problèmes avec des opérations (accent mis sur les multiplications)
    • la conjugaison des verbes au présent
    • les règles de grammaire de base (infinitif ; sujet/verbe/adjectif/complément)
    • les accords sujet-verbe
  • Les illustrations du jeu et des feuilles de personnage sont faites par les élèves. Pour cela, un cadre sur la feuille est prévu dans lequel les jeunes peuvent choisir de dessiner une des options suivantes :
    • un personnage sorcier/sorcière en pied avec 2 accessoires maximum
    • un personnage sorcier/sorcière en portrait avec 1 ou 2 accessoires (accessoires facultatifs)
    • Un objet caractéristique de l’imaginaire sorcier/sorcière et magie : chapeau, grenouille, baguette…

E: Quel moyen d’évaluation a été proposé ?

S: Aucun de quantitatif : juste de l’observation qualitative et un retour des profs sur leurs classes (voir ci-dessous le bilan).

E: Comment s’est passée la préparation, tout d’abord avec les profs ?

S: Avec les profs nous avons eu une réunion en amont afin de réaliser le cahier des charges et ensuite une relecture de leur part. Enfin, avant la session officielle, les profs ont simplement expliqué ce qu’était un jeu de rôle et ce que les élèves allaient faire avec nous pendant 2h. Les professeurs ont animé la session. L’un d’eux avait déjà fait du jeu de rôle et ils ont repris l’introduction au jeu de rôle que je leur ai rédigé dans Moon Dragar.

Crédit: Will Wright (Pexels)

E: Parlons un peu du choix des règles / système.

(suite question) … Je sais que différentes approches sont possibles. Le plus classique étant de partir du quotidien et soit d’y faire ressortir l’aspect jeu/ludique ou soit d’utiliser des mécanismes de jeu (gamefication) pour que l’apprentissage soit ludique/plaisant. Ce n’est pas ce que tu as choisi car dans ton cas, en partant sur le jeu de rôle comme partie intégrante du jeu avec les élèves, tu avais deux autres  possibilités : soit les faire jouer à un jeu existant (et incorporer les savoirs à développer) ou soit créer un jeu pour eux.  (Philippe Lépinard, 2019)  C’est cette approche de game-based et simulation-based learning que tu as décrite dans ton guide ici. Afin de coller au cahier des charges, au programme scolaire et à ce que tu as vécu au cours de ton parcours de pédagogue et thérapeute, tu as choisi de combiner le d12 et une approche narrative, que peux-tu nous en dire ?

S: le d12 c’est parce que les jeunes aiment avoir des dés différents du d6 ! l’approche narrative c’est pour travailler la construction de récit (programme de français en primaire). De plus, le  cours est abordé par le système de bonus qui sont matérialisés par les potions (thème associé à la magie). Les potions sont rendues concrètes par les billes qui sont posées sur une réglette. En plus de la satisfaction d’avoir bien répondu, la récompense est réellement matérialisée. A noter que la réponse est préparée par le groupe, cela fait appel aussi à un travail sur le comportement du groupe, (le savoir-être). Enfin, les profs devaient pouvoir créer leurs scénarii seuls pour être autonomes (et rentrer dans le budget du nombre d’heures travaillées), j’ai donc fourni des tables aléatoires et une méthode de construction d’aventures.

" Les jeunes aiment avoir des dés différents du d6 ! "

E: Une fois ce travail de création réalisé et que vous étiez prêts à jouer, j’aimerais aborder ton retour d’expériences. Tout d’abord combien de séances ont eu lieu ?

S : Nous avons mené le jeu du CE2 au CM2 dans l’école concernée avec 2 classes multi-niveaux.  

" Les jeunes étaient vraiment à fond ! "

E: Comment les enfants ont-ils perçu l’enjeu?

S : Ils n’ont pas ressenti d’enjeu, juste une activité scolaire fun ! Les jeunes étaient vraiment à fond et la motivation à répondre aux questions de révision scolaire a été énorme puisque le système de jeu veut que ça rapporte des bonus aux dés. Il y a eu un seul cas d’enfant frustré après avoir donné une mauvaise réponse scolaire mais la dynamique du jeu derrière et le lancer de dé a rattrapé sa frustration et je peux dire que tous les jeunes sont sortis le sourire au lèvres en racontant leur aventure rôlistique. De plus, le bilan oral avec l’équipe pédagogique a été très positif. Les améliorations possibles portent sur quelques questions scolaires à revoir. Il y a eu des longueurs dans le jeu pour les groupes qui attendaient leur tour : mais à 15 enfants en même temps c’est difficile de faire mieux. Les profs ont écouté mon conseil de réduire à 8 le nombre d’enfants qui jouaient en même temps. A noter les points forts : la motivation omniprésente , le jeu pousse à l’entraide, on arrive à gérer 15 enfants malgré quelques temps d’attente entre groupes.

Merci Sylphelle d’avoir partagé ton expérience sur la création et vécu de ton jeu de rôle pédagogique.

Moon Dragar a été conçu pour jouer des parties d’1h30 et se joue en groupe jusqu’à 15 joueurs et joueuses. Vous pouvez l’utiliser à la maison, en classe… pour faire réviser vos enfants de manière ludique.  La suite de Moon Dragar à l’école c’est une phase apprivoisement par les profs pour continuer à faire jouer les enfants.

De notre côté, si vous aussi vous voulez vous lancer dans la création d’un JdR pédagogique,  vous pouvez trouver les conseils est mis à disposition par Sylphelle dans son guide et pour intégrer les besoins pédagogiques vous pouvez aller voir aussi son autre document.

 Voici quelques points clefs qui devraient vous orienter sur cette création de jeu de rôle pédagogique :

  • Définir les objectifs (apprendre des savoirs techniques ou des savoir-être)
  • Choisir un univers et une création de personnages qui sert les objectifs (afin de permettre une immersion motivante et qui donneront les clefs pour créer les bonus).
  • Avec ces deux briques, vous pourrez choisir
    • la meilleure mécanique de jeu (des exemples sont donnés dans les guides ci-dessus) qui offrira les bonus lors de la démonstration des savoirs (techniques ou être selon les objectifs)
    • définir la création d’aventures (les tables aléatoires sont excellentes pour cela) afin de vous lancer rapidement / sur le pouce sur une partie avec les enfants

 

Note: 

Définition des CEMEA : L’éducation populaire est un courant de pensée qui vise à promouvoir une éducation amenant une transformation sociale en dehors des institutions traditionnelles d’enseignement.

L’éducation populaire, de par ses méthodes, placent les personnes au cœur de leurs apprentissages. Elle s’attèle à développer un savoir en partant des situations, des expériences, des questionnements et des connaissances de chacune et chacun. En mettant en place un cadre de réflexion collective sans positionnement hiérarchique d’un détenteur ou d’une détentrice du savoir, l’éducation populaire a pour objectif de permettre l’émancipation, l’accès aux savoirs, à la culture et de faciliter l’exercice de la citoyenneté.

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Écrit par ElrikMelny

Je suis tombé dans la marmite du JdR au collège via la découverte des « livres dont vous êtes les héros » & Hero Quest puis le grand bain grâce au lycée, et je ne m’arrêterai plus de jouer. Le JdR contient tant de belles valeurs pour se construire et perpétuellement grandir !!

Pour les jeux, je suis assez classique/éclectique SW (d6 puis FFG), gurps (med-fan, type fallout…), Rolemaster, D&D depuis la 3ème Ed (pas joué à la 4), Cthulhu, Shadowrun, CyberPunk Red, Vampire, Retrofutur, Arkeos, SuperClique, Masks, Urban Shadow, et j’en oublie….

Actuellement, je tourne sur D&D 5 (home made & Dragons), Cthulhu, StarWars FFG, Laser & feelings (home made) , Masks.

2021: lancement d’un Actual Play, Un Duo Rôliste , 1 PJ & 1 MJ. https://unduoroliste.net/

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