JdR & Handicap Mental
Livre de Base, chapitre 2 :
Système de Jeu
(ou Le JdR expliqué aux jeunes déficients)
Bonjour à tous,
Me voici de nouveau sur D1000&D100 pour vous parler JdR et Handicap Mental. Dans mon précédent article, je vous dépeignais rapidement le tableau de mon cadre de travail et vous dressais un bref portrait, assez général, des jeunes à qui je fais découvrir le JdR.
C’est là une riche expérience, et j’ose dire une aventure, que de se lancer avec ces jeunes dans un tel projet. Il m’a d’abord fallu trouver des volontaires. J’ai donc commencé à leur en parler et leur faire créer des personnages en fin d’année scolaire 2018, vers juin. Quelques-uns ont même pu se lancer dans de brèves aventures avant les vacances.
J’ai choisi Dungeon World avec son système PBTA car je voulais leur laisser une large place dans la prise en main de la campagne, mais aussi par le gain de temps que représente ce système pour le MJ : en effet, je voulais pouvoir leur inventer des aventures rapidement, sans écrire des heures durant un scénario avant chaque séance. J’ajoute à cela que Jérémy GUILBON, auprès de qui j’avais sollicité des conseils, m’avait vivement recommandé ce jeu que je ne connaissais pas encore.
* * *
Des dés et des déboires
Si beaucoup étaient intrigués et curieux de découvrir le JdR au travers de ces « tests », trouver des volontaires pour s’engager chaque mercredi sur une année complète (hors vacances scolaires) a été un peu plus délicat. Je suis parti avec un groupe initial de 4 jeunes, auxquels sont venus se greffer 3 jeunes dépendants de deux autres services. C’était un peu beaucoup… d’autant que la collègue stagiaire qui m’accompagnait découvrait elle aussi l’univers rôlistique…
Au niveau de l’institution, il a juste fallu appeler un chat un chien pour éviter les éventuels préjugés des téléspectateurs de Mireille DUMAS et consorts dans les années 80…
L’Activité « Jeu d’Interprétation » était né.
J’ai de suite voulu que nos parties aient lieu à la maison des jeunes locale, pour permettre une rencontre entre tous ces jeunes, et peut-être utiliser le jeu comme liant social.
Dès les premières séances, j’ai eu confirmation de quelques problèmes que j’anticipais…
* * *
Expliquer le JdR…
Tout d’abord, il a fallu expliquer aussi clairement que possible ce que nous allions faire, et en quoi cela consistait exactement.
« Alors nous allons jouer dans un univers médiéval fantastique, avec…
– C’est quoi Médiévatruc ?
– C’est un monde avec des elfes, des nains, des lutins, des géants, des gobelins, des trolls…
– Ah comme dans Harry Potter ?
– Euh pas exactement… Vous avez vu Le Seigneur des Anneaux ?
– Nan.
– Euh… Le film World of Warcraft ?
– Nan.
– Euh… Je sais pas moi… Willow,
– Oui qui ?
– Vous allez vous mettre dans la peau de chevaliers, de voleurs, de magiciens, …
– Ah ok… Mais alors c’est du théâtre ?
– Non, pas exactement… on va s’asseoir autour d’une table et on va raconter une histoire ensemble…
– Moi j’aime pas raconter pis j’en connais pas des histoires !
– C’est pas grave. En fait, JE vais vous raconter une histoire, vous, vous allez jouer les personnages de cette histoire et me dire ce qu’ils font.
– Mais faut qu’on invente ?
– Oui…
– Holalaaa ! ça m’a l’air compliqué ton truc !
– Ne vous inquiétez pas, je vais tout vous expliquer calmement.
– Hé ben…c’est pas gagné moi j’dis !
Effectivement, ce n’était pas gagné : passé les choses très générales, il a fallu parler des règles et du système de jeu… et là… comment dire ? Le jargon rôlistique n’est vraiment pas adapté à ces jeunes !
* * *
Du joueur au PJ
« Vous chevauchez et, passant au pied d’une falaise, vous remarquez que des hommes tentent d’en gravir la haute paroi à mains nues. L’un d’eux dévisse et chute, venant s’écraser juste devant vous. Que faites vous ?
– Euh…
– Valeria, toi la Paladin qui a fait serment de protéger les plus faibles, ne peux-tu pas prier ton Dieu et imposer tes mains pour le soigner ?
– Ah ben non hein ! Moi j’y vais pas !
– … Euh…Valrona, toi la barde au cœur bienveillant, peut-être pourrais-tu utiliser la magie de ton instrument pour lui venir en aide ?
– Ah ben non ! Moi non plus j’y vais pas !
– Et moi ? Je peux l’aider ?
– Euh… oui Gorm, fier barbare, si tu veux. Que fais tu ?
– Je l’achève ! »
Ne me décourageant pas, j’ai commencé avec eux la création de leurs fiches personnages. Pourquoi ne pas utiliser de pré-tirés me direz-vous ? Eh bien justement parce que la construction de « l’Avatar » m’en apprend énormément sur le jeune qui créé son personnage.
Quelques exemples de choix de PJ :
Je parlerais toujours des jeunes au travers de leurs personnages pour préserver l’anonymat.
Watson, un jeune qui s’intéresse à tout, et essaye toujours de comprendre le fonctionnement d’un outil, d’une machine, d’un quelconque objet, à choisit un Artificier, sorte de Géo Trouvetout dans l’univers de Dungeon World.
Gorm, un jeune dont la pathologie à entre autres symptômes, un système musculaire atonique, (autrement dit, il est « tout mou ») n’a pas hésité une seule seconde à être un rude barbare aux muscles saillants.
Pour Valrona, le choix fût plus compliqué. Elle a choisi d’abord d’incarner une barde « Parce qu’elle est jolie », mais finalement, ce rôle ne lui convenait pas. Elle était toujours en retrait, que ce soit dans le RP ou dans le jeu. Finalement, depuis peu, elle est devenu Chevalier (le nom m’échappe) et se montre plus active, plus participative.
Valeria enfin, avait choisi un paladin, de façon plutôt arbitraire à première vue, mais en fait, qui correspond à son éducation très ancrée dans la morale judéo-chrétienne. Après quelques séances, elle a accueilli la mort de ce personnage avec un ouf de soulagement, et s’oriente désormais sur un Voleur qui s’appellera probablement Robin…
Sonja, une jeune femme éduquée dans un carcan moral, étouffée par l’obligation d’être parfaite sous tous rapports et toujours gentille, a choisi d’incarner une vampire d’alignement mauvais, et elle s’éclate !
Aegor, un jeune homme fasciné par les lycanthropes, qui s’est longtemps identifié au héros de la série Teen Wolf, a choisi un druide, mais un druide qui se métamorphose en loup.
On voit donc à quel point le choix de l’avatar permet à ces jeunes d’affirmer, voire de confirmer ce qu’ils sont, ou voudraient être, au-delà des apparences.
Je pourrais encore citer un jeune provocateur, absolument incontrôlable et disons les choses « fouteur de m… » qui a choisi une immolatrice chaotique ; un jeune en quête de confiance en lui qui surcompense en essayant d’imposer sa forte carrure, et qui a choisi un dragon, etc.
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C’est quoi ces dés bizarres ?
« Gorm, lance les 2d6 pour savoir si tu parviens à toucher ton ennemi
– C’est lesquels ?
– Ceux là
– Gagné !
– Euh non, là tu as fait 2 et là 1
– Ça fait combien ?
– Trois
– Ah… C’est perdu alors ?
Au fur et à mesure des parties, il a fallu adapter aussi le matériel. Et tout d’abord les fiches persos et actions de PJ absolument imbuvables.
Fiches et cartes actions originales :
Voici une fiche originale, Recto et Verso, avec les actions liées à la Classe de Personnage.
Voici une carte d’Actions Communes Originale :
Fiche et cartes actions adaptée V1 :
Et voici la fiche adaptée, dans sa première version ainsi qu’un exemple de carte d’Action de Classe, remplaçant les listes d’Actions sur la fiche originale :
Une pastille de couleur identifie la caractéristique sur la FP et sur les Actions qui utilisent cette caractéristique. On remarque aussi l’utilisation d’images et de pictogrammes qui facilitent l’interprétation pour les non-lecteurs. Le vocabulaire a été simplifié : Alignement = Moralité, Liens = Relations, Aspect = Apparence, etc.
Fiche et cartes action V2 :
J’envisage d’aller encore plus loin avec une fiche et des Cartes Action V2 :
Bon… Le travail est encore ours, et là, en l’occurrence, la pastille n’est pas de la bonne couleur… mais vous aurez compris le principe.
Les 6 caractéristiques sont réduites ici à 3 : Physique, Intellect et Aura.
Dans l’exemple ci-dessus, l’Action commune de PJ « Tailler en pièce » est devenue l’action « Se battre ». On voit qu’on ne parle plus de 2d6 + FOR, mais de 2d + PHY.
Le texte a été simplifié au maximum, en m’appuyant sur les règles du FALC : https://fr.wikipedia.org/wiki/Facile_%C3%A0_lire_et_%C3%A0_comprendre
Les Dés et Jets :
On voit aussi que les 2d6 sont devenus 2d : en effet, il était difficile, voire impossible pour certains jeunes de calculer le résultat de leurs 2d6.
J’ai donc collé 3 pastilles vertes et 3 pastilles rouges sur chaque d6 : 2 Verts c’est OK (10+), 1 Rouge et 1 Vert c’est BOF (7-9), 2 Rouges c’est KO (6-).
Les bonus de caractéristique restent, mais pas les malus (il n’y a plus de 2d –X).
Pour les dés de dégât, j’ai laissé les choses en l’état pour l’instant, mais j’envisage de prendre toujours la valeur maximale (1d6=6 par exemple) ou moyenne (1d6=3).
L’objectif premier reste que les jeunes puissent s’approprier les règles et outils de ce JdR avec un minimum d’intervention de ma part.
* * *
Oh un papillon !
« Tandis que vous pénétrez dans l’épaisse jungle, le battement lointain des tambours de guerre résonne, vous… Euh… Valrona, Valéria… Vous êtes avec nous ?
– Oui, oui on t’écoute
– Donc… Tandis que vous… Eh les filles ! Vous écoutez ou pas ?
– Ouiii, on t’écoute
– OK… Tandis que… Valronaaaaaaa… youhouuuuu !
– Ah désolée, je t’écoute maintenant promis !
– …
D’autres difficultés de ces jeunes sont liées à l’attention, la concentration, la mémorisation, la capacité à choisir sont déficientes.
Nous jouons de 14h à 16h30 environ, avec une pause de 20minutes vers 15h30. La partie se découpe ainsi :
- 14h 14h15 : installation et rappel des » précédentes aventures »
- 14h15 15h30 : Aventure
- 15h30 15h50 : Pause
- 15h50 16h30 : Monter le Campement (Évolution des PJ, RAZ des PV, préparation prochaines aventures, débriefing) + rangement
Les jeunes ont donc 1h15 d’aventure « réelle », ce qui, combiné avec le fait que leur présence est irrégulière pour diverses raisons (rdv de santé, stages, et autres impératifs), me limite énormément en matière scénaristique : La campagne est donc une suite des scénarii très courts, plutôt « tunnel » et qui favorisent l’action à la réflexion.
Je dois tout de même veiller à ne pas tomber dans l’excès inverse, car il est nécessaire que ces jeunes puissent travailler aussi sur leurs difficultés.
Des idées ?
Voilà, voilà… Alors si vous avez de bonnes idées pour m’aider, mais surtout pour aider ces jeunes à devenir des rôlistes confirmés, je suis preneur 😉
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Pour mes prochaines publications, nous voyagerons dans le pays merveilleux des réactions inattendues et gaffes en tout genre de nos fiers aventuriers… Parce qu’il faut aussi savoir en rire ! Mais j’ai aussi prévu de vous faire un petit retour sur le 3ème Défi Trois Fois Forgé de PTGPTB auquel j’ai participé cette année pour la première fois.
Je reçois un message lorsque vous publier et je lis vos textes avec intérêt. Jadis j’ai eu l’opportunité de jouer avec des adolescents. Ce que vous soulignez , je l’ai remarqué que les joueurs font des personnages qui rejoint leur intérêt et compense leur perception ( Barbare musclé jouer par le petit maigre ). Moi aussi j’ai du simplifié les règles et faire des cartes d’actions pour visualiser leur choix d’actions. J’ai aimé jouer avec eux car ils ont une approche plus originale si je compare avec mes joueurs vétérans qui peuvent citer quel action faire contre tel monstre. Bien hâte de vous lire.👍
Merci pour ce partage de votre expérience François.
Bonjour Yaakab Multiversalis.
Le projet a-t-il été maintenu depuis ces premiers essais ? Vos travaux m’intéressent beaucoup. Je suis en formation pour devenir professeur des écoles, sensible à l’inclusion des jeunes en situation de handicap. J’aimerais avoir un retour de ces années d’expérience.
En vous remerciant par avance !
Bonjour Gaëtan,
Oui, le projet est toujours d’actualité et à évolué positivement avec la présence aujourd’hui d’une psychologue clinicienne pour développer les bienfaits thérapeutiques de la pratique du JdR.
C’est bien volontiers que j’échangerais avec vous à ce sujet.
Vous pouvez m’écrire à : wolfgang.m.fun@gmail.com
Cordialement, Jacques « Yaakab » M.